Avertissement : cet article contient de nombreux spoilers concernant Silent Hill 2.

 

Le temps lui aura apporté sa légitimité. Silent Hill 2 est
aujourd'hui considéré comme un monument du jeu vidéo. L'enracinement est
profond chez ceux s'y sont essayés, et bien des années après son apparition,
nombreux sont les adeptes qui s'y réfèrent comme à une étape importante de leur
vie de gamer. Plus que beaucoup d'autres créations, Silent Hill 2 marque les
mémoires, même longtemps après que son disque ait regagné l'étagère. La raison
est à chercher au-delà du gameplay, banal même pour l'époque, et (volontairement)
limité. Elle est à chercher par-delà le scénario, qui n'est qu'une pièce du
puzzle. Alors où ? Peut-être au 210, Woodside Appartment...

La
résidence semble désaffectée, et pourtant, nombre de ses appartements sont
jonchés des restes de la vie de locataires absent. Le
numéro 210, notamment. Au milieu de son salon trône un mannequin, de ceux que l'on peut
voir dans les vitrines des boutiques de prêt-à-porter. Ses vêtements sont ceux
de Mary, la défunte femme de James, mais ça, seul le joueur averti peut le
constater. Non, ce qui interpelle en premier lieu, c'est la lampe torche fichée dans son
décolleté, et dont James, le héros, ne tarde pas à s'emparer.

 Cepassage, situé au début du jeu, est lourd de sens pour qui s'essaie à le
déchiffrer.
Le mannequin, comme on l'a vu, est une représentation de Mary. Et
dans la pièce baignée de pénombre, elle est seule à briller, de tous les watts
de la torche. C'est pour James qu'elle brille. Mary, comme on pourrait le lire
dans les bouquins de la collection Arlequin, est pour Sunderland la lumière de
sa vie. La seule chose à vraiment compter. Mais dire cela, c'est
enfoncer une porte ouverte. La relation qu'entretient James avec son épouse, ou
tout du moins son souvenir, est limpide.

 L'important
est ce qui va suivre :
 James, se saisit de la lampe, replongeant
la pièce, et le mannequin / Mary dans l'obscurité. Ainsi formulée, l'image est
nette. Il n'est un secret pour personne que dans l'imagerie populaire, lumière est synonyme de vie. Une petite heure de jeu à peine s'est écoulée, et le joueur attentif peut déjà éteindre sa console. Il connaît le fin mot de
l'histoire. James a tué sa femme, et tout ce qui va suivre ne sera pour lui que
pénitence. Une tentative de rédemption par le mal qu'inconsciemment il
s'impose.

 Le
ton est donné. Silent Hill 2 naît et meurt par le symbole.

 Le
symbole, ce signe qui agit comme une référence commune au plus grand
nombre,
tellement usité qu'il n'y a pas même à le déchiffrer pour en saisir le sens.
Qui voit une croix pense christianisme ; le swoosh, Nike, etc... Ce n'est
pas sur le conscient qu'il agit, mais directement sur l'inconscient. Et ça,
Silent Hill 2 sait en tirer parti. Tout du long, le jeu est en prise directe
avec le subconscient du joueur. Et ce qu'il y distille n'est que libido et
instinct de mort.

Pas
étonnant qu'il marque.
Le joueur en est rendu à affronter ses pulsions les plus
primaires. La forme, ici, n'est qu'un prétexte au traitement de thèmes qu'il
serait ahurissant, encore aujourd'hui, de retrouver dans un jeu. Brimades
sociales, suicide, inceste, viol, meurtre, parricide, rien n'est jamais
clairement explicité, si ce n'est l'euthanasie de Mary, mais les signes ne
trompent pas et le joueur sait, quand bien même il ne le réalise pas.

Car ces pistons qui vont et
viennent dans les murs de la chambre d'Angela ne
peuvent signifier qu'une seule
chose. Car cette tombe dans laquelle descend sciemment James est la sienne, et
que cet acte en dit long sur son état d'esprit. Car Pyramid Head poursuit et
tue Maria dans les sous-sols de l'hôpital, et qu'une nouvelle fois, par symbole
interposé, la vérité nous est livrée.

Ces bruits qui ne cessent de
résonner dans les coins sombres de Silent Hill ne son
t pas que des monstres
fait de polygones. Ce sont aussi nos monstres. Ces instincts noirs qui
sommeillent en chacun de nous, profondément refoulés, et que la ville est venue
réveiller. Silent Hill est un fossoyeur, et c'est pourquoi le malaise est si
grand pour celui qui erre dans ses rues.

D'autant que James n'est pas si
loin du joueur que sa situation le laisse paraître.
Sa quête n'est
qu'accessoire, et n'a pour but que de le mettre face à ses démons. Pour preuve,
la lettre de Marie, qui est la cause de sa venue à Silent Hill, et qu'il garde
précieusement dans son inventaire, s'efface au fur et à mesure de l'aventure
pour ne laisser au final qu'une page vierge.

Sunderland fait une pause dans sa
vie pour se rendre dans la ville maudite,
sans vraiment d'autre raison que
l'appel du vide. La promesse fallacieuse d'un bonheur retrouvé, bien qu'au fond
de lui il sache qu'une personne morte l'est à jamais.

Ainsi va le joueur, qui le temps
d'une partie met sa vie entre parenthèse et franchit
le seuil de Silent Hill,
pad en main, à la recherche d'un plaisir qu'il sait ne pas trouver autrement
que dans une pulsion masochiste.

Lors de notre première rencontre
avec James, celui-ci se regarde dans le miroir de
latrines publiques rien moins
que dégueulasses. Dans un jeu où la symbolique est aussi travaillée, ce détail
n'en est pas un. Il préfigure la mise en abîme qui attend Sunderland, et à
travers lui le joueur, dans un théâtre où tout n'est qu'immondices et
dépravation.

Dire que Silent Hill 2 est plus
qu'un jeu vidéo serait, en plus d'un odieux lieu commun, une atteinte à la
dignité du medium. Un jeu, il l'est, mais il en transcende les codes. Par son
symbolisme élaboré, par les thèmes qu'il aborde et la confusion qu'il instille
entre joueur et joué, il se place en chef de file d'un loisir vidéoludique qui
se veut autre chose qu'un simple jouet, et justifie à lui seul de manière
grandiose, par les sensations uniques qu'il transmet et les pistes de réflexion
qu'il entrouvre, le nécessité de l'existence du médium.