« Nous devons comprendre que jouer à des jeux vidéo n'est
pas un échappatoire. Jouer à des jeux vidéo est un moyen intelligent et
puissant de réveiller nos aptitudes naturelles à être motivé, plus optimistes
et moins résignés face à l'échec ». Ces propos nous viennent de Jane
McGonigal, repris par Gamesindustry.biz, et étaient rapportés ce matin par
Gameblog. C'est sur ce premier point que je l'attaquerais. Autant le dire
immédiatement : ces propos me désolent. Cela me désole qu'une game designer
puisse aujourd'hui tenir ce type de propos, montrant ainsi une vision totalement
archaïque du jeu vidéo, même par ses développeurs.

Je m'explique. Aujourd'hui, les jeux vidéo sont devenues de
vraies expériences. De Braid à COD, la plupart des jeux réussis aujourd'hui
parviennent à nous faire ressentir un panel plus ou moins étendu d'émotions. Un
titre comme Bioshock, par exemple, parvient à nous immerger totalement dans l'univers
sous-marin de Rapture, ce qui permet au jeu de susciter chez nous peur, doute,
etc. On n'a donc pas ici un échappatoire à proprement parler, puisque l'on se
retrouve dans un univers cauchemardesque (on a plutôt ici une catharsis, c'est
stressant donc on est plus détendu après). Mais ce que je voulais souligner, c'est
le fait que les jeux vidéos aujourd'hui créent des univers et nous y immergent,
et c'est ce que personnellement j'aime dans cet art.

D'un autre côté, et Mme McGonigal a raison sur ce point, le
jeu vidéo est un moyen de nous motiver et de ne pas s'arrêter face à un échec.
Exemple : VVVVV. Dans une seule des pièces de ce jeu, je suis mort 127
fois. Pourtant, j'ai recommencé, encore et encore, jusqu'à y arriver. Mais
pourquoi ? Pourquoi le jeu vidéo nous pousse-t-il a réessayer, encore et
encore ? Au bout de 126 essais, il faut bien qu'il y ait quelque chose qui
nous dise qu'il faut recommencer une 127ème, merde ! C'était
quoi ?

Eh bien, Mme McGonigal, je vais vous répondre à cette
question : si au final, cet espoir et cette volonté de continuer chez le
joueur sont la résultante de plusieurs facteurs tous importants (le
renouvellement du level design, la précision du gameplay, etc.), je pense tout
de même que le point central est l'immersion du joueur. J'étais pris dans l'univers
de VVVVV, avec ses musiques, son esthétique, etc. , et je voulais en voir plus,
en savoir plus, explorer partout, découvrir les trouvailles aussi bien
graphiques que de game design, et savoir le fin mot de l'histoire. Cette volonté de continuer face à l'échec n'est
que le résultat de l'immersion du joueur, c'est-à-dire le fait que le jeu soit
un échappatoire.
Comment louer une conséquence dont on fustige la cause ?

Ceci dit, je passe au second point que je voudrais critiquer
dans le discours de Mme McGonigal : son fameux Gamer Regret. « Même les
gens qui aiment les jeux ressentent cette sensation de regret de joueur - ils perdent
la plus grande partie de leur week-end à jouer à leur jeu préféré et se
demandent s'ils n'auraient pas du faire quelque chose de mieux durant celui-ci ? Les
gens qui ne jouent pas aux jeux vidéo ne sont pas vraiment convaincus de ce
fait ».

Ici aussi, je ne peux qu'approuver l'existence d'un « Gamer
Regret », l'ayant moi-même ressenti. Cependant, il est très important à
mes yeux de le relativiser. C'est pourquoi je vous invite d'abord à lire, si ce
n'est pas fait, l'article d'Upselo sur l'éthique du game design, reprenant une
conférence de Jonathan Blow. Pour le résumer en quelques lignes, celui-ci
expliquait à quel point certaines mécaniques de jeu étaient prévues pour maximiser
le temps de jeu et non de procurer du plaisir au joueur.

Si je vous mets le lien vers cet article, c'est pour une
raison simple. Il y a deux causes au Gamer Regret :

- La perception que le joueur a du jeu vidéo en général. Si
le joueur se dit que le jeu vidéo c'est de toute façon de la merde, il passera
peut-être des heures sur ses jeux mais le regrettera. C'est dans ce sens que
tente foireusement d'aller Mme McGonigal, en montrant les bienfaits
thérapeutiques du jeu vidéo. Moi, de mon côté, je n'ai aucun regret après avoir
joué à un jeu parce que je sais qu'il fut une expérience enrichissante, ou tout
du moins divertissante et défoulante, et donc utile, plus que n'auraient pu l'être
d'autres activités que j'aurais pu faire à la place (même COD défoule, excite,
bref déchaîne les passions, on en est ainsi vidé, c'est le principe de la
catharsis)(alors que dans un match de foot, étant très sportif et toujours aux
postes importants, je me serais fait chier ...). C'est donc la dimension
artistique (et je sais que je vais relancer les débats à ce sujet, mais bon) du
jeu vidéo qui me contente quand je joue (et même plus)

- Je viens de dire que je ne regrettais pas une expérience
enrichissante. Seulement, certaines expériences n'ont rien d'enrichissant !
Passer deux heures sur Farmville ne me mènera à rien de bien, je n'aurais
déchaîné aucune passion, je n'aurais rien appris, j'aurais en fait juste cliqué
et cliqué encore, pour réussir des objectifs qui en cachent d'autres, et qui me
demandent de revenir dans quelques minutes à chaque fois. C'est là que je
trouve l'éthique du game design de Jonathan Blow importante :
c'est le non-respect de celle-ci qui cause
le « Gamer Regret ».

Alors, évidemment, où s'arrête le bien et où commence le mal ?
Dans WoW, un membre de Gameblog disait que depuis qu'il jouait avec des amis,
il ressentait beaucoup moins le « Gamer Regret ». En fait, dans tout
jeu où l'on nous laisse libre, c'est notre capacité à créer nous-mêmes une narration
qui va contrecarrer le Gamer Regret. Je m'explique : si WoW utilise au
départ beaucoup des mécaniques dénoncées dans l'article d'Upselo, il laisse
aussi la liberté au joueur de s'investir vraiment dans le jeu : si l'on
veut absolument une monture volante, le dernier donjon nous barrant la route
sera probablement épique, et la mort d'un équipier semblera catastrophique et
fera monter la pression (sauf si on joue dans une guilde coréenne bien sur). Au moment d'enfourcher notre
monture ailée, on s'extasiera forcément sur la beauté des paysages, on prendra
du plaisir à virevolter dans les cieux, etc. WoW laisse donc au joueur la
possibilité de se créer des émotions, et l'y pousse même. C'est là que la
limite entre bien et mal est floue. Bien sur que l'on peut ressentir de la
satisfaction en jouant à Farmville, mais le jeu ne nous y pousse pas du tout.
On aura donc l'impression de s'être totalement inventé son délire, et on
regrettera le temps perdu.

Le Gamer Regret est
donc soit le résultat d'une mauvaise image du jeu chez le joueur, soit celle d'un
non-respect de l'éthique du jeu vidéo comme la définit Jonathan Blow. Mais ce n'est
pas en donnant des définitions réductrices et surannées du jeu vidéo que l'on
fera avancer le schmilblik, Mme McGonigal. D'ailleurs, le fait qu'une game designeuse,
élément d'importance dans l'immersion, oublie que le jeu vidéo est un
échappatoire, est à mon sens bien dommage.