À quoi servent-elles ?

Le but de la cinématique interractive est de nous faire ressentir des émotions, d'épaissir un personnage, de nous faire savourer des décors, en somme elle est, idéalement, un outil à l'immersion. Mais est-ce toujours le cas ? Ces séquences sont-elles toujours pertinentes ? Ou nous font-elles parfois l'effet contraire, c'est-à dire sortir du jeu ?

Il est fort probable que mes analyses et conclusions, fort subjectives, ne seront pas partagées par tout le monde, aussi je ferai mon possible pour décortiquer et analyser au mieux ce qui me rebute ou m'interpelle dans ces séquences afin d'avoir une base commune sur laquelle débattre.

Modern Warfare 2, God of War 3 et Batman Arkham Asylum, ou le trajet imposé

Ici nous parlerons de la séquence de Modern Warfare 2 où, intégré à un groupe terroriste, nous avançons dans un aéroport en abattant des innocents, d'une cinématique de fin dans God of War où Kratos se retrouve dans une sorte de cauchemar, et enfin de l'intro du dernier Batman. Le point commun de ces séquences est que nous nous trouvons dans un trajet imposé. Autant dire tout de suite que ces séquences, pour des raisons différentes, m'ont déplu.

Modern Warfare 2 ; quel est le but de la séquence en terme d'émotions ? De nous choquer ? Je n'ai jamais vraiment su. En fait ça m'a laissé de marbre (premier mauvais point), ce n'est pas la première fois qu'on tue des innocents dans un jeu. La séquence était plus choquante lorsqu'on l'a découverte en vidéo à l'époque de la polémique, car elle était hors contexte, ce qui d'ailleurs m'a permis de comprendre pourquoi on pouvait s'inquiéter de la violence des jeux vidéo quand on n'y jouait pas soi-même, car au fond on mesure mal l'impact réel sur le joueur. Dans le feu de l'action, entre deux missions, ce massacre paraît au final assez banal, car le joueur moyen (j'imagine) sait très bien qu'il tue seulement des amas de polygones.

Ce qui tue à mes yeux la séquence à au moins deux visages. D'abord, nous avons un rythme imposé, nous marchons à 2 kilomètres heure, ce qui est assez pénible. Au lieu d'avoir l'impression de marcher à une vitesse normale, on se retrouve comme aux commandes d'un escargot. On ne fait presque rien, car le temps de comprendre la séquence, nos alliés terroristes ont pris de l'avance et massacrent tous les innocents à notre place. Alors on avance lentement sur un trajet imposé, n'osant pas explorer le peu qu'il y a d'explorable vu que c'est déjà assez pénible comme ça.

Ce qui me dérange ensuite, c'est aussi qu'on nous impose des émotions. On veut nous faire vivre une séquence de terrorisme, et de force, un peu comme dans un film d'horreur on tente de nous imposer la peur par de grosses ficelles, telle qu'une attaque surprise appuyée par la musique qui monte d'un cran, des cris, etc. Personnellement j'ai vécu cette séquence comme une punition.

God of War 3 ; une punition également fut le cauchemar de God of War 3. La première chose à laquelle j'ai pensé est : "Fais chi..., je vais devoir me la retaper à chaque nouvelle partie...". Encore une fois, nous nous trouvons sur un trajet imposé, où on ne peut rien faire d'autre que marcher et nager en ligne droite (si je me souviens bien). L'intention est ici palpable ; nous faire vivre les remords et la profonde tristesse de Kratos face à ses actes de violence. Le trajet est parsemé des victimes de Kratos.

D'une la séquence est trop longue. N'oublions pas que d'un point de vue de gameplay, ce n'est aucunement intéressant, et que cela se ressent très vite. De deux, je ne peux pas pleurer Kratos. C'est un personnage nanardesque, un John Rambo de la Grèce antique façon comics book. Comment peut-on s'imaginer une seule seconde que je vais avoir de l'empathie pour un personnage pareil ? God of War, c'est du grand spectacle outrancier, on s'en régale, mais on ne prend pas ça au sérieux. Kratos est ici victime de la grande mode next-gen à l'approfondissement des personnages, même et surtout quand ça n'a pas lieu d'être.

Batman Arkham Asylum ; dieu qu'elle est longue cette intro... On marche à nouveau à deux à l'heure, escortant le Joker dans sa nouvelle demeure. On ne peut frapper personne, on ne peut pas passer la séquence, on ne peut rien visiter, rien n'explorer. Un calvaire... L'idée est franchement bancale, et une cinématique, avec tout l'aspect mise en scène, aurait eu un bien meilleur rendu.

Là, on écoute le Joker qui blablate sans s'arrêter, on tient le stick vers le haut en essayant d'échapper au trajet imposé. C'est la mode next-gen "vivre la scène", et on comprend alors qu'être Batman, ça ne doit pas être drôle tous les jours...

Resident Evil 5, God of War 1 et Uncharted 2, ou la libre exploration

Là nous parlerons de l'intro de Resident Evil 5, de la montée finale de Kratos dans le palais d'Arès, et de la visite du village au Tibet dans Uncharted 2. On n'y fait pas grand chose, on marche dans un espace limité, mais qu'on peut explorer à notre guise. L'émotion n'est donc pas imposée, mais suggérée.

Resident Evil 5 ; seul moment de Resident Evil 5 réussi à mes yeux, l'intro. Nous sommes dans un village perdu africain, contrôlant Chris Redfield et ses épaules de Metroïd sans interraction possible avec les éléments du décor ou les personnages. Nous devons nous rendre d'un point A à un point B, à la vitesse souhaitée. En somme, on peut y courir directement en une dizaine de secondes, ou marcher tranquillos.

Cette liberté nous permet de visiter les lieux à notre guise, d'apprécier les décors. L'intention de la séquence est d'insuffler une tension. Les Africains nous jettent des regards hostiles, chargés de haine. Un groupe donnent des coups de pied à une victime roulée en boule à terre. Le message est limpide ; on n'est pas le bienvenu, et l'atmosphère ne sent clairement pas la paix et la joie de vivre.

La réussite de cette séquence tient au fait que rien n'est imposé ; tout est suggéré, c'est au joueur d'y prêter attention, et il est tout à fait libre de ne pas le faire, contrairement à la séquence de Modern Warfare 2 où l'on se trouve sur des rails avec des oeillères, dans l'impossibilité d'échapper au spectacle.

God of War 1 ; passage anecdotique, mais très sympa, la montée dans le temple en or d'Arès et l'accession au trône mettant un point final à l'aventure. Cette séquence aurait pu être une cinématique, je trouve assez pertinent de nous la faire jouer. C'est la consécration, la récompense pour avoir buté absolument tout le monde. Le temple est magnifique, on possède les lames en or d'Athéna avec lesquelles on essayera de défoncer (en vain...) les statues du Minotaure et d'Arès aux côtés de notre trône de nouveau dieu de la Guerre.

Ça ne mange pas de pain, ça ne véhicule aucune émotion particulière, mais c'est plutôt sympa.

Uncharted 2 ; on se réveille dans un joli village tibétain au coeur des montagnes. Drake est censé suivre son guide jusqu'à la sortie, mais on peut très bien visiter à son gré, d'ailleurs il y a des trésors à dénicher, et un trophée débile à obtenir. Des interractions sont possibles, caresser le bétail, donner un coup de pied dans un ballon de football, tandis que des enfants rient de nous voir.

Encore une fois, la liberté d'exploration n'impose rien au joueur. Ce passage bucolique est en fait un petit plus pour apprécier la beauté des décors, un peu comme la séquence dans le sous-marin du premier. On peut y voir un épaississement du personnage plutôt subtil, ou simplement s'adonner à l'attrait de la contemplation, apprécier comment des dévelloppeurs insufflent la vie dans un village en polygones. Le seul souci est que la marche nous est imposée pour le déclenchement de certains scripts (en courant on les raterait facilement), ce qui rend la séquence un peu chiante lors des autres parties.

Grand Theft Auto 4 et Red Dead Redemption, ou le pied de nez agaçant

Pas de séquences particulières ici, car on en trouve à foison dans les deux ; le jeu nous laisse l'impression que l'on va jouer, alors qu'on participe à une cinématique géante. En gros, on déclenche une mission, et le gameplay se réduit au minimum ; conduire une voiture ou chevaucher sa monture pour déclencher une autre cinématique. Puis c'est tout.

Dans Grand Theft Auto 4, le jeu aura tendance, pour justifier cela, à nous faire faire quand même de légères actions, comme de tuer un gars qui de toute façon est sans défense et ne s'échappera pas. Dans Red Dead Redemption, là on ne se justifie plus, on se déplace d'un point A à un point B juste pour assister à un dialogue.

Le principal souci que je rencontre avec ces séquences, c'est que je les trouve mensongères. En déclenchant une mission (principale ou secondaire), je m'attends à jouer, à interragir concrètement avec l'univers proposé tout en découvrant un pan supplémentaire du scénario, et au final c'est le jeu qui se joue de moi et m'utilise, me manipule. Surtout que les allers-retours dans les open-world, s'ils sont savoureux au début quand on découvre les décors, deviennent légèrement gonflants vers la fin. Alors quand on se rend compte que le déplacement était inutile par rapport à nos attentes, ces séquences ternissent plus le titre qu'autre chose.

Resident Evil 4, ou le chef d'oeuvre de la cinématique interractive

Nous incarnons Léon dans un scénario nanardesque au possible, mais à la narration redoutable. Puis vient la première confrontation avec Krauser, au couteau. On ne fait pas grand-chose, juste des QTE. La séquence est inoubliable.

La grande efficacité de cette scène, c'est qu'elle demande du skill. Krauser et Léon discutent tout en se tenant en respect à l'arme blanche. La mise en scène est excellente et efficace. Séquence fourbe, on ne peut aucunement prévoir, la première fois, quand Krauser va attaquer. Alors on essaye de suivre la scène, tout en restant concentré sur le milieu de l'écran, là où les touches doivent apparaître.

On crève, on crève à nouveau, on recommence, et la tension ne redescend pas, car plus on va loin dans la séquence, plus on a peur qu'elle soit longue. Elle a l'air de ne pas vouloir finir, elle prend son temps. Les attaques sont rares, mais mortelles, au détour d'une réplique qui ne laissait rien deviner.

Puis c'est le QTE final, on le sent, on le sait, on respire enfin, on sent monter la victoire. Il faut marteler A... puis B... ce qu'on a bien entendu pas prévu... Alors on recommence !

Personnellement je n'aime pas beaucoup jouer ce passage quand je refais RE4 car avec l'habitude on a des repères qui le rendent un peu plat, mais la première fois m'a marqué pour longtemps. On retrouvera, mais sans aucune efficacité, ce genre de cinématiques dans Resident Evil 5, avec des QTE qui se devinent dix secondes à l'avance.

 

Au fond, la cinématique interractive me semble pertinente lorsqu'elle nous laisse libre de nos mouvements et ne nous impose pas d'émotions particulières, et aussi, contrairement à Red Dead Redemption, lorsqu'elle ne nous ment pas sur ses intentions réelles. L'immersion dans le jeu vidéo, comme au cinéma, doit nous être proposée. Dans le cas contraire où l'on cherche de force à me faire ressentir quelque chose de précis, j'ai personnellement tendance à sortir du jeu.