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L'uchronie dans le jeu vidéo...
Sujet intéressant que voilà. Qu'est-ce donc que l'uchronie mon bon
monsieur ?

Eh bien c'est une histoire
imaginaire ayant pour point de départ une situation réelle. Pas
clair ? Je m'explique. Prenons un point marquant de l'Histoire, par
exemple la Première Guerre Mondiale. Dans ce cas précis, une
uchronie classique prendrait comme postulat : « Et si les Allemands
avaient gagné ? ». Quand on dit
qu'avec des si, on
peut refaire le monde
, ce n'est pas peu dire, et c'est
justement ce qui nous intéresse ici. Une réalité virtuelle dans
une réalité virtuelle... Superbe mise en abîme ou sujet
casse-gueule ?

Il est évident que beaucoup
ont imaginé notre monde autrement, mais le mettre en forme
de manière crédible est une autre histoire. D'ailleurs, j'ai
l'intime conviction que pouvoir mettre au point une uchronie dense et
travaillée est un marqueur de maturité d'un média ou voie
d'expression artistique. Il faut en effet pouvoir suffisament asseoir
son autorité et sa crédibilité pour le faire, et ce n'est pas
chose donnée au premier venu. Comme vous pouvez vous en douter, nous
allons nous intéresser ici aux uchronies dans le jeu vidéo, à leurs
portées mais aussi leurs limites. Petite rétrospective sur le sujet
...

Je pense que le premier exemple venant
à l'esprit est Wolfenstein 3D. Dans ce jeu, le premier
FPS avec des images en projection 3D, on permettait au personnage
incarné par le joueur, Blazkowicz, de tuer Hitler, et
ce dès la première moitié du jeu. Même si le dit combat est
plutôt humoristique et que le jeu reste sur un ton série Z, il est
le premier à se permettre une telle fantaisie. Le jeu a par ailleurs
très bien fonctionné pour l'époque et a marqué un tournant dans
le jeu vidéo, mais ça, c'est une autre histoire ;)


Un Hitler qui
tire la tronche. La preuve, il a une mitrailleuse par bras.

La seconde guerre mondiale étant un
sujet récurrent dans les jeux vidéo, il va de soit qu'elle a inspiré un
nombre particulièrement élevé d'uchronies correspondantes. En
premier lieu, The Saboteur, de Pandemic, sorti chez nous il n'y a pas si longtemps. Incarner un poseur de
bombes dans un Paris des années 1940 à l'ambiance
sympatoche pourrait se révéler intéressant, mais le jeu joue
tellement la carte de l'autodérision et du second degré qu'il perd
toute crédibilité historique. C'est d'ailleurs clairement là la
volonté des développeurs, qui ne souhaitaient sûrement pas prendre
à bras le corps un sujet aussi épineux que la résistance (ou non)
des Français durant l'occupation. Enfin ce n'est que mon avis hein
...

Dans le même genre, on a Command and Conquer : Alerte Rouge bien sûr. Le pitch de
départ ? Einstein invente une machine à remonter le temps,
assassine Hitler avant sa prise du pouvoir et espère ainsi sauver
l'humanité. Pari manqué, car même si la seconde guerre mondiale
n'aura jamais lieu, l'URSS de Staline devient rapidement ingérable
et envahit tout le continent eurasien. L'Alerte Rouge est déclenchée,
avec l'Europe pour trophée. La force du titre, en plus de son
gameplay aux petits oignons, réside dans son second degré évident,
le rapprochant pour le coup davantage d'un nanard cinématographique
qu'autre chose. Cela n'est pas un problème pour le jeu en lui-même,
l'un des ténors du genre, mais se révèle plutôt problématique de
notre point de vue : serait-il impossible de faire un jeu à
caractère uchronique parfaitement sérieux ?


The Saboteur, en
dépit d'une identité graphique réelle, reste bien trop second
degré.

Même si ce n'est que rarement le cas,
heureusement que si ! On peut penser à la récente série de FPS
de Sony, Resistance, mais aussi à des
jeux moins mainstreams tels que Ring of Red, un
tactical atypique (et à grand renfort de mechas) de Konami sorti sur PS2 en 2000. Dans les deux cas, on incarne un soldat dans
un monde altéré à la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans Resistance, exit les Nazis, un virus bizarre venu
d'URSS transforme les humains en vilains pas beaux prêts à prendre
le contrôle du monde. Plus vendeur que les sempiternels fascistes,
surtout en Allemagne (plus de 3 millions d'exemplaires vendus en
Europe pour la série). Donc finalement, est-ce par envie ou par opération marketing que Resistance titille ainsi
notre Histoire ? Le jeu a beau être en apparence très simple et
formaté, en y regardant de plus prêt, il possède un
background très travaillé
. Seulement le problème est
qu'il faut alors lui accorder beaucoup de temps afin de chercher les
documents annexes ou autres. Donc pour la plupart des joueurs, Resistance n'est qu'un FPS popcorn (de qualité,
certes) de plus de cette génération.


Resistance, ou l'art
de remplacer les Nazis par des mutants.

De son côté, Ring of Red a tenté une approche un peu plus fougueuse, puisqu'à la fin de la
seconde guerre mondiale, les Alliés auraient envahi le
Japon
, le coupant en deux, avec d'un côté les méchants
Rouges et de l'autre les gentils pro-démocraties. Je l'avoue, les
méandres du scénario ne sont pas restés gravés dans ma mémoire,
et le temps faisant son affaire... De ce dont je me rappelle,
l'histoire in-game était plutôt sympa, mais jouait peu sur son
contexte historique. Dans le même genre, on peut citer le premier Fallout, qui modifie à tombeau ouvert le contexte
historique des années 1950, contexte qui n'apporte cependant rien au
jeu et ne sert que rarement la narration.

On pourrait continuer longtemps : Operation Flashpoint, nous plongeant dans une guerre
fictive entre USA et Russie au début des années 1980, ou Iron
Storm
, FPS / TPS où la première guerre mondiale
n'est toujours pas achevée en 1964
. Mais encore une
fois, même constat : l'histoire n'est qu'au service du gameplay,
et sert tout juste de justification aux batailles.


Ring of Red part
d'une bonne intention, mais son contexte ne sert quasiment jamais
l'histoire du jeu.

Finalement, le meilleur candidat dans
le domaine de l'uchronie est selon moi Singularity,
sorti il y a quelques mois, sur Xbox 360, PS3 et PC. S'inspirant de
références vidéoludiques telles que BioShock et F.E.A.R., ce jeu développé par Raven Software et édité par Activision nous fait voyager dans diverses époques, d'un XXIe siècle ravagé par des mutants à la Guerre
Froide, où chaque action modifie l'espace-temps. En dépit de
combats un peu mollassons et d'une linéarité évidente, Singularity possède un scénario fort passionnant, plusieurs fins et une
narration imbriquée « bioshockienne » du plus bel effet. Une des
meilleures petites surprises de 2010, et certainement le seul jeu où
l'altération historique est la plus au service du scénario du jeu.


Singularity, la
référence dans le domaine ?

Singularity semblant être
l'exception qui confirme la règle, on n'a que trop bien compris que
jusqu'à aujourd'hui, l'uchronie dans le jeu vidéo n'est que trop
souvent un prétexte pour justifier du panpan boumboum. Les univers
travaillés ne sont pas légion dans le média, et quand ils existent, le ton y est généralement volontairement humoristique.
Dommage, même s'il faut aussi remarquer que cela va en s'améliorant
: même si on reste toujours dans un contexte post-XIXe siècle,
notre Histoire récente a un potentiel énorme dans le domaine, qui
semble de plus en plus attirer les développeurs (regardez le dernierCall of Duty par exemple). Il ne faut aussi pas oublier que le cœur
d'un jeu est avant tout son gameplay, et que si le scénario est
selon moi primordial, il ne doit pas venir parasiter le reste du jeu.
Et comme les softs ayant le plus de succès de nos jours (en
Occident) sont les FPS, il est normal que la plupart des jeux
uchroniques se situent à une époque où l'arme à feu existe déjà.

Espérons que les altérations
historiques dans les jeux vidéo continuent à se développer, car il
est toujours intéressant de pouvoir interagir dans des réalités
parallèles. Et puis qui sait ? Peut-être qu'un jour nous aurons un
jeu nous mettant dans la peau d'un RaHaN rédacteur en chef de JVC !

Les recalés :

Voici les jeux qui me viennent à
l'esprit et que j'aurais pu inclure, mais qui ne sont pas présents
pour différentes raisons. Ils peuvent cependant rejoindre la
réflexion.

Assassin's Creed :
Certes, le jeu modifie le passé de manière plutôt importante. Mais
il ne faut pas oublier qu'il le fait dans le cerveau d'un homme du
futur (Desmond en l'occurrence), et que l'univers d'Altair et autres
Ezio ne sont que des souvenirs et données enfouis au fond d'un
subconscient. Le jeu, en principe, ne modifie pas l'Histoire, même
si cette tendance s'inverse de plus en plus au cours des épisodes.
Qui sait : d'ici quelques opus ?

Age of Empires, Civilization : Ce sont les deux seuls exemples qui me viennent à l'esprit,
sûrement existe-t-il d'autres RTS faisant face au même problème.
Ici, nous recréons totalement des civilisations, on ne cherche pas à
altérer notre Histoire, mais bien à en créer une nouvelle de toute
pièce.

BioShock : Le jeu se
situant dans un environnement fictif et n'ayant aucune influence sur
notre Histoire, inutile de le traiter ici. Aucun doute que BioShock
Infinite
sera du même acabit.

Dynasty Warriors / Samurai
Warriors
/ Kessen : Et sûrement aussi d'autres jeux de Koei. Mais finalement, ces jeux historiques altèrent
l'Histoire à travers un point-de-vue déjà biaisé (ils sont tirés
de livres romancés par rapport aux faits réels), et les
modifications qui y sont faites sont davantage là pour justifier de
nouvelles batailles qu'autre chose. En effet chaque combattant
possède une histoire alternative, et on se retrouve souvent avec
moult contresens au sein même du jeu. Je ne vais donc pas chercher à
recenser toutes les fins alternatives de chaque épisode.

Okami : En dépit des
qualités indéniables du jeu, il remet davantage en question la mythologie japonaise que l'histoire même du Japon.
Aurais-je dû le traiter ? Honnêtement je ne sais pas, mais nous
sommes ici dans un autre débat. La mythologie est-elle partie
intégrante de l'Histoire ? Je ne me risquerai pas à une tentative
de réponse.