Serrant les bandages de sa cuisse, aussi fort qu'il le pouvait, allongé
dans une souche pourrie de la jungle, Naked Snake avait pris refuge ici
pour éviter le pire. Trempé par la sueur, l'humidité et la moisissure de sa cache, il s'injecta le sérum puis passa la main devant ses yeux pour vérifier que les ténèbres qui obscurcissaient sa vue disparaissaient.
Doucement, Snake se glissa pour observer l'extérieur. Les rayons de
soleil perçaient le feuillage dense. Il percevait à nouveau toute
l'incandescence du ciel blanc, qui recouvrait la forêt d'une chape de
moiteur écrasante, lourde et malsaine.

Nul besoin de se presser. Son adversaire a attendu ce moment depuis
longtemps. On peut même dire qu'il ne vit que pour celui-ci. Surnommé
The End, ce vieillard croulant sur son fauteuil roulant s'est levé une
dernière fois, du haut de son centenaire, pour son ultime combat. Il
avait préservé ses forces pour offrir à Snake son talent, celui du plus
grand des snipers.
Si Snake se confond avec la nature grâce à son camouflage, The End, lui, se fond littéralement en elle.Il est une part d'elle. Elle est son alliée. Snake, au-delà du tireur
d'exception, se confronte à la Nature. Chaque craquement de brindille,
chaque rond dans l'eau boueuse est susceptible d'indiquer au vieux
sniper sa position. Pourtant incrédule, Il l'avait vu de ses propres
yeux, cette nature qui écarte ses branches pour offrir à The End
quelques rayons de soleil salvateurs et lui conférer soudain une
nouvelle santé. Il l'avait vu aussi, sous les vagues vertes de l'océan
vert, cet oiseau, un perroquet bien trop bavard, mouchard à la solde de
son maître. Snake avait été contraint à la fuite, à la planque. Le vieux sniper lisait ses mouvements grâce son compagnon et s'amusait avec
l'espion. Acculé, Snake avait abattu l'oiseau qui le suivait sans cesse. A l'instant même, il avait senti tressaillir The End du fond de la
jungle, pousser un cri empli du plus profond des désespoirs. Snake avait brisé l'omniscience que lui conférait la Nature et récolta son
courroux.

Il sentait encore la brûlure de la fléchette empoisonnée, mais il devait repartir au combat. A l'heure qu'il était, il avait acquis la
quasi-certitude que pour la première fois, ni l'un ni l'autre ne savait
où se trouvait son ennemi. Les cartes avaient été rebattues pour être
également distribuées.The End appartenait dorénavant plus à la caste des hommes qu'à celle des esprits de la forêt. Renversant l'avantage de son ennemi, Snake décida
qu'il était temps de se mouvoir tandis qu'il présumait que The End
attendait qu'il passe dans sa ligne de mire, noyé dans les nuances de
verts.
A même le sol, dissimulé dans les hautes herbes, Snake avançait
doucement, silencieusement. Réfléchissant à chacun de ses mouvements
pour ne pas se révéler, il reprenait son instinct de chasseur en même
temps qu'une confiance nouvelle. Avec une rare méthodologie, il rampait
avec patience à tous les points de tirs de la zone du duel, les même que The End. Puis il s'emparait de son fusil à lunette, scrutait la forêt à la recherche, par exemple, d'un reflet brillant pouvant trahir la
présence invisible de son ennemi.

The End devait être perché, patient, à attendre une erreur fatale du
gamin. Qu'importait à The End de mourir, puisqu'il devait déjà être
mort. Il avait invoqué la Nature pour lui accorder le crédit de quelques heures en plus parmi les vivants.Comme les autres membres de la Cobra Unit, cinq soldats hors normes aux
ordres de The Boss, jadis le mentor, l'amie et aussi la mère de
substitution de Snake, The End ne se battait pas pour une idéologie.
C'était simplement son devoir. Un devoir, un destin qui l'opposait
désormais à Naked Snake. Il s'était accaparé l'endroit et jouait avec
Snake dans un combat formateur, sans haine, préférant lui asséner dans
ses chairs du poison que du métal. Il usait Snake, tentait d'effriter sa patience, de le casser, de l'humilier, dans le jeu cruel qui les
opposait. The End devait être perché, patient, le doigt posé sur la
gâchette, prêt à infliger une nouvelle punition à l'élève.

Snake progressait. Tirant profit au maximum de ses capacités
d'infiltration, il tentait de renverser l'avantage du terrain à son
profit. Bouger, toujours et encore, en silence, réduire et encercler
progressivement son invisible ennemi. Cela ressemblait à une traque,
celle d'un serpent qui préparait son attaque avec minutie, avant de
bondir, enfin, sur sa proie.
Cependant, son corps était criblé de blessures, de stigmates, sans
compter les douleurs musculaires. Il ne se nourrissait que chairs crues
de la faune locale : poissons, crocodiles et serpents. S'il devait sans
cesse se rabaisser à l'état d'un animal, d'un fauve pour accomplir sa
mission, il s'était hissé comme le plus grand prédateur de ce monde sauvage. Il
s'arrêta un instant, redoutant à chaque instant sentir, dans un violent
éclat sonore, la nouvelle morsure de The End. Snake écoutait désormais
la forêt. En apparence silencieuse, elle grouillait de bruits
indistincts, des feuilles bruissantes, d'insectes, de chutes d'eaux
lointaines, d'animaux... puis un faible sifflement, tout à fait
inhabituel.
Le coeur de Snake tressauta, mais resta immobile, ses doigts enfoncés
dans la terre saturée d'eau. C'était la respiration malade de The End.
Ils étaient là, à quelques mètres l'un de l'autre. The End ne pouvait
l'avoir vu, sinon Snake aurait déjà reçu une sanction. Il ne restait
plus qu'à le localiser. Snake avançait peu à peu, la respiration
sifflante devenant de plus en plus perceptible. Puis, soudain, il vit
les tâches de vieillesses qui balafraient le crâne chauve du sniper. Il
était juste devant lui, de dos, à attendre, arme au poing, patient. Il
guettait lui aussi la forêt à travers sa lunette et ne se doutait pas
que son ennemi était désormais trop près pour le voir. Les muscles
bandés, Snake, le visage grave, visait le vieillard avec son pistolet.

Cinq coups de feu résonnèrent sous le dôme verdoyant. The End était
mort. La Nature pleurait son enfant, et en signe de deuil, s'était parée des couleurs d'automne.

 

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