Si pour des industries comme celle des comics, l'achat de droits pour le cinéma représente un aboutissement, sinon artistique, du moins commercial (les recettes engendrées par les films Spider-Man, par exemple, sont sans commune mesure avec ce que peuvent rapporter les différents mensuels liés à l'homme-araignée), l'industrie du jeu vidéo est mieux lotie sur ce plan là. Mais en terme d'impact, que celà soit réel ou non, l'adaptation d'une licence en film semble toujours une consécration. Cependant, comme on peut également le constater pour les romans, voire pour les séries télés, toutes les formes d'histoires ne sont pas idéales pour le média cinéma. Et c'est sans doute particulièrement le cas du jeu vidéo.

Plus c'est long plus c'est bon

Un premier point, tout simple, et d'ailleurs commun avec le livre : la durée de vie. Si un jeu durant à peine une dizaine d'heures nous paraîtra plutôt court, une telle durée est juste impensable pour le cinéma. On pourra bien évidemment objecter que, sur 10 heures de jeu, on n'a pas 10 heures de scénario ; mais n'est-ce pas justement le propre du jeu vidéo de nous raconter une histoire à travers les phases de gameplay, au-delà des briefings et autres cinématiques ? Si ces moments de pur jeu n'ont parfois (et tant mieux) aucun autre but que d'amuser le joueur, ils ont de plus en plus souvent également des visées narratives. Même la saga Metal Gear, pourtant décriée pour la longueur de ses phases de codec et ses interminables cinématiques, ne peut se raconter en les mettant simplement bout à bout, car les phases de jeu participent aussi de l'avancée de l'histoire, de son ambiance, de ses personnages : The End, par exemple, devient culte par le combat qui nous y oppose, pas par ses apparitions dans les cinématiques. Mais MGS met également à jour, grâce au codec, une autre spécificité du jeu vidéo par rapport au cinéma, le facultatif.

Promenons-nous dans les bois

J'avoue, j'adore parler par codec de l'effet Magnus avec Natascha Romanejko ou lire les mémos trainant dans le commissariat de Raccoon City. Et bien plus récemment, que dire de BioShock ? Fouiller, découvrir par soi-même tous ces détails, approfondir l'univers, voilà un plaisir eminemment vidéo-ludique. Le cinéma nous propose un point de vue, et dispose par là-même d'autres avantages pour raconter une histoire. Mais les jeux à monde ouvert, tels qu'Assassin's Creed, ne sont à mon sens pas "adaptables" en film. La première arrivée à Jérusalem est évidemment très cinématographique ; mais le vrai plaisir, c'est d'explorer ses rues, de flâner. De construire sa propre petite histoire à l'intérieur du canevas narratif proposé par le jeu. Pourquoi alors vouloir adapter Shadow of the Colossus ? L'histoire en elle-même tient sur un timbre poste : mais elle se construit petit à petit, à travers l'ambiance, l'esthétique du titre ; passer une heure à se balader à cheval à travers la forêt est tout aussi important pour l'expérience de jeu, et même pour l'histoire qu'il veut créer, que les combats contre les colosses (qui sont d'ailleurs eux-aussi caractérisés en grande partie par le gameplay qui leur est associé). Mais diriger un cheval pendant des heures est très différent de regarder galoper un cheval durant des heures. C'est là qu'entre en scène la dimension fondamentale du jeu vidéo : l'interactivité.

Et comment je fais pour me soigner maintenant ?

Cette interactivité a elle aussi son rôle à jouer sur le plan narratif. En quoi la mort d'Aerith est elle différente de la mort d'une quelconque héroïne de roman ou de film ? Au-delà de l'amour qu'on peut lui porter en tant que personnage d'une histoire, elle est aussi personnage d'un jeu : elle va nous manquer, non seulement spirituellement mais aussi pragmatiquement. Et la perte continuera donc à se faire ressentir durant tout le reste du jeu. Quand Yuri perd ses pouvoirs au début de Shadow Heart 2, c'est un vrai coup dur pour le joueur, plus que pour le "spectateur" de son histoire qu'il est aussi. Pour revenir à Shadow of the Colossus, si la mort des colosses nous affecte tant (ce qui est une émotion que le scénario doit nous faire ressentir s'il veut parvenir à ses fins), c'est parce qu'on en est l'instrument : simplement regarder un rigolo en poncho les tuer ne parviendrait pas au même effet.

Du sang sur les mains

Pour conclure, je reprendrai le cas de Metal Gear, qui cristallise beaucoup de ces problématiques. Incontestablement cinématographique, la saga est pourtant aussi une de celles qui brise le plus le quatrième mur. Si ce sont parfois des gadgets, mais là aussi utiles pour poser un personnage (vous aurez tous reconnu Psycho Mantis), la manière dont Kojima nous fait réflechir, ressentir certaines émotions (le but, en fin de compte, de l'art de la narration) est souvent purement vidéo-ludique. La traversée du Styx s'impose à mes souvenirs, mais c'est un autre moment de Snake Eater qui constitue un de mes meilleurs souvenirs de jeu vidéo. Suite à la confrontation finale avec The Boss, déjà sublime, on a droit à la traditionnelle cinématique, on reste dans la narration classique. Mais on repasse ensuite au jeu : Snake la tient en joue, et c'est à moi d'appuyer sur le bouton correspondant au tir. Chose que je me suis résolu à faire seulement après plusieurs minutes.

Un chef d'oeuvre d'émotion qu'aucun autre média n'aurait pu me faire ressentir.