Enfant ou même adolescent, on a souvent tendance à penser que le grand moteur de la
création est la liberté
. Ne pas avoir de barrières, se
débarrasser de toutes les limitations imaginables, atteindre enfin LA
liberté. Il est logique de penser ainsi lorsque l'on est jeune. Cela
nous semble une évidence,  il ne peut en être autrement. Si
notre champ de vision, notre espace de création ne souffre d'aucune
limite alors cette fameuse création n'en sera que meilleure.

mar

Une contrainte, un personnage

 I) Contrainte et stimulation

Une contrainte qui inquiète

La contrainte fait peur et inquiète car on pense souvent que jamais l'on aurait pu mettre en
place tel ou tel chantier dans le cadre de contraintes. Stricte impossibilité de créer. L'idée est répandue, certes, mais est
surtout incorrecte
si l'on se penche de plus près sur la genèse de quelques œuvres. Peu importe le domaine auxquelles elles se
rattachent.

Une contrainte qui stimule

La réalité est simple, la
contrainte stimule la création
. Cela peut sembler complètement
absurde dans un premier temps mais ne l'est pas du tout si l'on prend la peine de collecter quelques témoignages, de s'intéresser aux
différentes étapes du processus créatif
. Des anecdotes de
développeurs pour le cadre du jeu vidéo viennent affirmer cette théorie, seulement commençons par remonter un peu plus loin pour voir que la véracité du propos tient toujours.

 platon-aristote

"La contrainte Platon, la contrainte..."

II) La littérature et la contrainte
L'antiquité

Pour ce qui est de la littérature, il suffit de lire La Poétique d'Artistote pour se rendre compte que l'homme cherche à borner son espace de
création
. Aristote définit ce qu'est la comédie, la tragédie. Il
codifie ces genres, fixe des règles, des contraintes. Il balise le
chemin de la création. Il faut savoir ce qu'est la tragédie pour pouvoir en écrire une par la suite, on remarque ainsi que la culture est
une donnée primordiale
à la création.

Le XVIIème siècle

Tout siècle a ses codes, ses
théoriciens
théorisant à foison. L'idée est toujours la même,
il n'y a que les codes qui changent, évoluent, se contredisent. L'antiquité comme on vient de le voir mais le XVIIème siècle également
avec, entre autres, les partisans des Anciens vénérant
les créateurs de l'antiquité en cherchant à marcher dans leurs
traces
. Le théâtre de Racine est codifié, Les Caractères de La Bruyère le sont de par son
hommage à ceux de Théophraste.

 alain_robbegrillet

"Les contraintes sans la contrainte, fabuleux !"

Des courants littéraires récents

Tout courant littéraire, toute « école » si l'on préfère, se fixe ses propres règles même
lorsque ce mouvement prétend combattre et se libérer des codes. S'en détacher pour mieux en créer d'autres. Il y a, et aura toujours,
des contraintes venant rétrécir le champ de la création pour tout
artiste appartenant à une chapelle. Le Nouveau Roman
cherche à rompre avec le roman traditionnel et ses codes mais ne fait
qu'en créer d'autres, codifiant comme son ainé la création.

Les contraintes stimulent car servent à cadrer l'imaginaire créatif de tout créateur. Il sait en
quelque sorte où aller. Après cette stimulation ne se manifestera pas toujours de la même manière. Certains prendront clairement appui
sur les codes de tel ou tel genre, d'autres chercheront à faire quelques entorses au règlement comme c'est le cas de Corneille
et de son théâtre. Le Cid se permet quelques
détournements des règles, de petits pas de côté. Mais si Corneille se permet cela et peut ainsi créer de grandes œuvres, c'est bien parce
qu'à la base il existe un canevas sur lequel il s'appuie.

III) Le jeu
vidéo et les limites technologiques
Une théorie qui traverse les
époques

 itmc_sd-290

On va bien réussir à créer quelque chose avec ça

Cette théorie avérée de la contrainte
stimulante se retrouve dans tous les domaines artistiques, de façon plus ou moins appuyée. Le jeu vidéo, du fait même que son existence est intrinsèquement lié à l'évolution technologique, en
est l'exemple le plus frappant.

A chaque génération de consoles, tout créateur doit se limiter à ce que la technologie actuelle lui
permet de faire. Au temps des 8 bits, il fallait se débrouiller avec le nombre réduit de couleurs, une gestion minimale des animations, de sprites limités et j'en passe. Il doit chercher à tirer le meilleur de la console sur laquelle il travaille tout en
pensant un projet solide. Certaines idées sont parfois impossible à
réaliser en l'état à telle ou telle époque, il faut donc ruser,
imaginer
des subterfuges gérables par la machine sur laquelle on
travaille.

Miyamoto et Mario

Plusieurs anecdotes viennent appuyer ces propos. Shigeru Miyamoto, le célèbre développeur
nippon, raconte lors d'une interview la genèse du personnage de Mario. Il nous apprend que le plombier italien est la conséquence directe des limitations techniques de la NES.
Avec une résolution faible et une palette de couleurs tout aussi pauvre, Miyamoto imagine une moustache à son
personnage ainsi qu'une salopette rouge pour réussir à donner
au bonhomme une identité. Comment faire autrement avec quelques gros
pixels enchevêtrés comme matériaux de base ?

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On peut y arriver, même avec un pc qui date

Raynal et Alone in the dark

Dirigeons-nous du côté de la France. Frédéric Raynal lui, lors de la création d'Alone in the dark, se met à penser à un système de plans fixes pour palier aux limitations techniques des PC de l'époque.
Difficile d'afficher un nombre important de polygones à l'écran, de
proposer de nombreuses animations en 3D. La parade est géniale, proposer des tableaux figés (comme une caméra fixe) aux angles de vue différents selon les pièces que l'on découvre. Les angles type
cinéma viennent de naître, la série Resident Evil
réutilisera ce concept bien plus tard.

Michel Ancel et Rayman

Michel Ancel, bien que rattachant la naissance de Rayman à un dessin
réalisé durant son adolescence, raconte dans certaines interviews que le personnage de Rayman provient lui aussi des contraintes techniques de l'époque. Le créateur français cherchait à donner à
son héros une grande fluidité, pour atteindre un tel objectif
il était impossible de créer une animation totale du personnage. D'où
l'idée d'animer séparément les mains, la tête et les pieds. Rayman est né.

IV) Conclusion

D'autres anecdotes existent mais l'idée
n'est pas de les lister toutes, simplement de montrer que la
contrainte stimule la création
. Ce paradoxe, qui n'est qu'apparent, se vérifie à chaque époque et dans chaque domaine
d'expression. Un canevas de base aidera le créateur à créer, tout
simplement. Il saura jouer avec les limites qui s'imposent à lui, en
faire en quelque sorte des matériaux supplémentaires pour sa création.

jean-racine-beauvais-statue-sculpture

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