Attention, quand je vous dis qu'il ne connaissait rien aux jeux vidéo, c'est qu'il n'avait vraiment jamais joué à une console jusque là. A peine était-il amateur de la série des Civilization de Sid Meier sur PC, mais c'était là vraiment le grand maximum.

Je l'avoue, ce fut un vrai plaisir de voir M. découvrir les jeux vidéo avec autant de candeur - surtout qu'il est déjà plutôt vieux par l'âge (c'est un trentenaire bien avancé). Découverte du maniement d'une manette, règles implicites propres à chaque genre, etc., il est passé par tous les stades de l'apprentissage. Une des anecdotes les plus intéressantes à ce sujet fut son premier contact avec les jeux de guerre de type FPS, notamment avec Call of Duty - Modern Warfare 2.

Vous serez d'accord avec moi, pour un premier contact avec le genre, il aurait pu tomber sur pire. Et pourtant...

Voilà ce qui se passa.

Il lança donc le jeu en se disant que cela devait être du même genre qu'Uncharted 2 qu'il venait de finir, et commença la campagne solo. Il eut d'abord du mal avec les mouvements et manoeuvres mais ça, il avait l'habitude et essaya de s'adapter. Les séquences de jeu défilèrent... jusqu'au fameux chapitre de l'aéroport où votre personnage est incité à tuer des civils innocents. Bien évidemment, le jeu l'avertit soigneusement avant de lancer le chapitre que son contenu pourrait le choquer et qu'il pouvait le sauter s'il le souhaitait. M., complètement candide, se dit qu'il n'y avait pas de raison et qu'à son âge, il pouvait bien jouer la séquence quand même.

Et là, ce fut le drame.

Il contempla horrifié le spectacle des événements à l'aéroport, le hurlement des gens, et lorsqu'on lui demanda de se mettre à tirer sur les civils : blocage.

Il posa la manette, retira le jeu de la PS3 et n'y toucha plus jamais.

Autant vous dire que cette expérience malheureuse l'a profondément choqué et convaincu de ne plus jamais toucher à un FPS. Vous allez me dire que c'est une réaction un peu exagérée mais dans son cas, c'est relativement compréhensible : M. ignorait tout des jeux vidéos jusque là et soudain, on lui en propose un dont le contenu heurta violemment ses principes moraux. Et je vous avoue, j'ai eu un peu de mal à défendre notre hobbie lorsqu'il me fit remarquer : à quoi ça sert de mettre un message pour prévenir avant, qui irait en tenir compte pour sauter le chapitre ?

Et là, j'avoue, il n'a pas tort.

Malgré tout, cela a suscité un certain débat entre nous qui m'a mené à me poser la question si oui ou non, les développeurs de jeu ont une responsabilité morale par rapport au contenu de leur jeu. Ont-ils la responsabilité, lorsqu'ils créent un jeu de guerre, de devoir la traiter forcément avec gravité, afin de s'assurer que le message véhiculé par le jeu coïncide avec les valeurs d'une société saine ?

Pour ma part je ne peux m'empêcher de ressortir ce vieil argument : l'art n'a pas à être moral. Du tout, du tout. En effet, si l'art est censé susciter des réactions, secouer les esprits, est-il pour autant supposer véhiculer un message éthique ?

A vrai dire, je ne pense pas. Cela n'est pas une obligation, cela ne le sera jamais. Par contre, que l'art ait une responsabilité vis à vis de la société, là je n'en doute pas, il en a une grosse (note : ne me citez pas hors-contexte ici ! ;) ), c'est juste que le message que l'art doit véhiculer n'a pas à être restreint ou normé : après tout, ce boulot-là revient à la censure (quelle que soit la forme qu'elle puisse adopter), celui de l'art étant juste d'explorer les possibilités, et d'éprouver justement cette censure.

Malgré tout, au de-là de cette réponse un peu bateau, je vous avoue qu'à mon avis, tout cela vient certainement du fait qu'avant d'être de l'art, le jeu vidéo est avant tout un divertissement. Dans ce cadre, ce qu'il doit en priorité véhiculer, c'est du fun, du plaisir à jouer - y compris si cela signifie massacrer des centaines d'innocents (ce qui reste un peu douteux mais bon, je suis l'avocat du diable ici). Ajoutez-y l'argument économique : un jeu doit se vendre, un jeu ne se vend que s'il est fun, un jeu peut être fun s'il s'appuie sur la violence, et vous comprenez pourquoi l'industrie n'hésite jamais à braver la censure sur la violence - parce qu'on parle d'argent ici, et que la violence fait vendre.

Du coup, pour recentrer mon propos, je dirais que oui, le jeu vidéo a une responsabilité morale (soyons généreux et considérons que c'est effectivement de l'art), mais que ce qui remet le plus en cause cette responsabilité, ce n'est pas du tout le fait qu'un jeu aborde ou non le thème de la guerre (ou du sexe, ou du racisme, etc.), c'est surtout le fait que ce qui guide l'industrie du jeu vidéo, c'est avant tout le profit, et surtout pas un quelconque devoir moral.

Cela dit, il y a des contre-exemples. On remarquera ainsi qu'un certain nombre d'acteurs ont adhéré à ce devoir moral, et pas seulement les éditeurs de logiciels pour enfants : le plus effrayant est de fait Nintendo lui-même, dont le discours responsabilisant remonte jusqu'à la création de leur fameux "Seal of Quality". Du coup, quand on voit le succès phénoménal de cette firme avec ses jeux de bisounours (de Mario à Zelda en passant par Wii Sports), on peut se dire qu'on peut très bien vendre du produit "responsable" et en tirer un (énorme) profit. Même Advance Wars, leur fameuse série de wargame sur DS, a été "responsabilisé" récemment avec le dernier opus de la série, Dark Conflict, avec son scénario sombre (et affreusement sérieux).

De là, je me dois donc de nuancer ma conclusion : la responsabilité morale est certes facultative dans l'industrie du jeu vidéo, mais cela ne signifie pas qu'elle y soit forcément absente, ni qu'elle condamne un jeu à un moindre succès commercial. De même, la violence et la guerre ne sont qu'une source de fun parmi d'autres : ces sujets sont clairement destinés à un public particulier (l'adolescent et le jeune adulte masculin) - le problème ne survient que lorsque l'offre s'homogénéise de sorte que les seuls jeux disponibles ne relèvent plus que de ces thématiques.

Dans ce cadre, il serait intéressant de comparer les succès de Nintendo, Microsoft et Sony au vu du succès de leur catalogue de jeu, mais bon, je laisse cela à d'autres...

Et vous, qu'en pensez-vous ?
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