Sortons immédiatement les graphismes du débat. Sortons même l'univers sonore. On perd déjà deux sens, les deux sont plutôt décevants d'ailleurs mais ayant à faire à Ubisoft, je n'en attendais rien (le bon son et le charme graphique [le charme, pas la puissance graphique pure] étant traditionnellement dans les jeux vidéo l'apanage des équipes de talent, ce qui n'est bien sûr pas le cas ici).

 Ubisoft ne fait pas de mauvais jeux. Ils font des jeux moyens, sans âme et sans saveur. Ça fait beaucoup, oui, mais malheureusement, ça suffit. Avant d'attaquer le coeur de leurs jeux, à savoir le gameplay, revenons juste un instant sur "le reste". Des séries incroyables se sont développées sur "le reste". Scénario, ambiance, mise en scène, chara design, musique (désolé, je ne tiens pas mes promesses), des jeux entiers, des séries entières sont bâties sur ces principes, avant même le gameplay. Soit on veut que le jeu vidéo soit un art, soit on veut qu'il reste un jeu... Soit on veut les deux. Ubisoft a fait son choix. Ce seront des jeux. Pourquoi pas, après tout ? Si tout le monde faisait de l'art, ça deviendrait probablement barbant (le vrai soucis, c'est que personne n'en fait plus). Ça manque d'ambition mais acceptons.

 Votre contre-exemple, Child of Light ? À moitié validé. Sympathique de premier abord mais limité et le considérer comme un hommage aux JRPG n'est pas très flatteur pour ces derniers - ce serait davantage un hommage au cliché du JRPG. Et le JRPG n'a vraiment pas besoin de ça en ce moment... Il a sa propre misère à remuer.

 

 Reprenons. Ainsi, Ubisoft semble se spécialiser dans la copie de la concurrence. Rayman, Splinter Cell, Assassin's Creed, Far Cry et maintenant Watch Dogs. Je ne vais pas perdre mon temps à comparer les autres jeux aux originaux mais le cas de Watch Dogs est parfait pour comprendre tout ce qui cloche chez Ubi.

 C'est un GTA-like combinant action, infiltration et aventure (ce qui est la grande mode du moment) alors... En vrac ? La conduite est mauvaise, le tir est médiocre (remarque sur ce point-là : aucun retour + aucun recul + bruitage lamentable = aucun plaisir à shooter : j'ai l'impression de jouer à RE : Operation Racoon City, c'est dire... manque total de punch), le jeu est linéaire comparé à un GTA (une seule "mission" dispo à la fois) et les side-missions sont extrêmement répétitives et sans le moindre intérêt ludique (là où celles de GTA sont justement au minimum drôles), bref, le jeu est en tout point inférieur à la concurrence, sans même parler de scénario, de mise en scène ou du charisme du héros comme les tests l'ont fait - sans me vanter, je savais déjà ce que je trouverais à ce niveau-là.

 Ironiquement, pour moi - grand adepte des Metal Gear - seule l'infiltration tient sa place, moins approximative que le reste à condition de ne pas être trop regardant (notamment sur l'IA) et de la considérer comme de l'arcade d'infiltration (en opposition avec la simulation, cf. MGS:GZ).

 

 Le hacking ? C'est la grande innovation. Intéressante sur les phases de course poursuite (sympa mais répétitive elles aussi) mais dans le jeu, au final, on en revient toujours à la même chose : faire 2-3 jump de camera, lever l'ascenseur, activer le machin et hop, fini.

 Et au-delà de tous les manques évoqués plus haut, c'est là qu'Ubi me perd. Le hacking est l'illustration du game design made in Ubisoft. La volonté d'ajouter du puzzle dans un jeu d'action aventure est louable mais ici, on est au degré zéro du puzzle game. Il y a TOUJOURS une caméra au bon endroit, tout comme il y a toujours cette p’tain de branche bien placée au-dessus des gardes dans Assassin's Creed...

 

 Je m'arrête là-dessus un instant. Le game design étant un sujet passionnant, lisez ce débat (https://www.eurogamer.net/articles/2014-03-23-stealth-vs-stealth) entre un ancien designer 2K/Ubisoft bossant maintenant sur MGSV et un dev indie. Amaro explique bien le pattern de création du monde dans TPP et comment ça influe sur la façon de jouer. On ne crée plus des énigmes, on ne crée plus des passages d'action, des passages d'infiltration : on crée des systèmes et on laisse le joueur interagir avec ces systèmes. Le joueur fabrique ses propres séquences. C'est assez révolutionnaire, réaliste et vu Ground Zeroes, ça marche très bien.

 En vérité, je n'attendais pas de Watch Dogs qu'il adopte une démarche pareille - le game design Ubisoft est deux crans en dessous de ça. Quand vous vous retrouvez devant une énigme, ce n'est pas juste que vous n'avez qu'une seule solution possible, c'est que vous n'avez qu'une seule manière possible d'y réfléchir. Vous voyez le fil d'alim blanc, vous cherchez une caméra. Vous voyez la branche, vous allez dessus et vous sautez sur les gardes. Vous percevez l'illusion ? La fausse liberté dans toute sa splendeur.

 

 Si vous prenez un Zelda ou n'importe quel autre jeu qui possède le même type de mécanisme, vous allez devoir réfléchir un minimum. Il y a ce même genre de système (un bloc à pousser, un interrupteur, un miroir...). Dans le pire des cas, vous savez quoi faire avec chacun mais vous ignorez l'ordre ou la façon de les enchainer pour résoudre l'énigme. Là, non. Là, vous suivez la trace, vous trouvez l'alim, vous appuyez sur carré et vous recommencez jusqu'à ce que ce soit fini. Le jeu est mono dimensionnel. Guidé de A à Z, y compris dans votre manière de raisonner. Il n'y a pas de place pour la réflexion, seulement un peu d'observation pour trouver les gros symboles blancs qui vous indiquent qu'il y a un truc à hack.

 

 C'est ça, Ubisoft. L'aseptisation totale du gameplay. L'extermination de la réflexion.

 

 Watch Dogs est donc un jeu dans lequel on trouve un peu de tout, et tout en moyen. Pas franchement mauvais cependant vu que j'y ai joué jusqu'à le finir et que j'ai même poussé jusqu'à terminer quelques missions annexes. C'est seulement les reviews et l'espèce d'unanimité autour de la qualité de ce jeu et des productions Ubi en général qui m'effraye et m'a donné envie d'écrire ces quelques lignes.

 Sérieusement, ils ont probablement passé 90% du temps de développement à modéliser Chicago. C'est ça qu'on veut ? Une grande ville sans la moindre personnalité ou direction artistique, bourrée d'événements répétitifs ? Puisqu'on parlait de puzzle, je préfère encore me perdre pour toujours dans le temple de l'eau...

 On parle bien d'Ubisoft, une entreprise qui a annoncé être en capacité de sortir un Assassin's Creed par an, ce qui signifie qu'ils ne prendront jamais le temps de réfléchir à une avancée majeure pour le gameplay, l'histoire ou quoique ce soit d'autre. Ça vaut pour toutes les séries sortant un épisode par an (COD & co). Soyons réaliste, une année est très peu et c'est à peine suffisant pour créer la forme, sûrement pas pour améliorer le fond. Tout simplement parce que ce n'est pas leur priorité. Leurs jeux se vendent déjà très bien comme ça.

 

 Nos standards se sont effondrés. Je me souviens une époque où MGS2 a été critiqué. Où FF8 s'est fait incendier. J'ai zappé une bonne partie de la last gen pendant laquelle Ubisoft est devenu vraiment grand. Depuis un an, je me réveille et ce que je vois me fait peur. Je pense que nous sommes tombés très, très bas niveau qualité attendue.

 Heureusement, Dishonored, Borderlands 2, GTA5 ou Bioshock Infinite sont sortis il y a peu. L'e3 a apporté quelques promesses (mais pas autant que prévu, on en reparlera). Et malheureusement, je ne parle que de jeux, pas d'art...

 

PS : En mettant certaines phrases en gras, j'ai adopté la stratégie Ubisoft. J'attire votre regard sur les choses importantes, le détournant des détails et de tout ce qui fait le charme des choses en général. Je vous indique clairement ce qu'il faut voir et ne pas voir. J'aliène votre capacité à réfléchir et à développer votre propre opinion. Enfin, très clairement, si j'avais vraiment voulu faire du Ubisoft, j'aurais probablement mis plein de couleurs, de screens et diviser le texte en chapitre mais je tiens à garder ma dignité, même si c'est pour l'exemple.

 

PS : Pour Watch_Dogs, je n'ai pas évoqué le thème du jeu, la réflexion niveau zéro sur l'hyper connectivité. Encore une fois, à l'instar d'un TLoU ou certaines grosses productions récentes, la grande idée "mature" devient prétentieuse parce qu'ils n'arrivent pas à dépasser le cliché, que ce soit dans le message transmis ou dans la façon de le transmettre.

 Il y avait beaucoup, beaucoup mieux à faire mais pour cela, il fallait pousser la réflexion bien plus loin, quitte à transformer totalement le jeu pour s'adapter à cette idée. Faire un jeu conceptuel comme certains groupes font des albums conceptuels ou certains réalisateurs font des films conceptuels. Trop risqué pour un jeu à gros budget, évidemment. Mais ce qui m'intéresse est davantage l'avis des joueurs.  Et là, on débouche sur un autre débat, bien plus intéressant que la simple critique : est-ce que vous préférez un jeu conceptuel (une oeuvre d'art en un sens) qui vous fait réfléchir, qui vous fait avancer, quitte à perdre du confort de jeu ou alors un clone de GTA qui atteint péniblement la note moyenne ? L'expérience de jeu ou le confort ?