En parallèle de cela, l'ère GameCube marque aussi le renouveau des liens avec les éditeurs tiers, dont fait partie la firme Capcom. Prenant pari sur le cube, c'est le 14 novembre 2002, dans le club Velfarre situé
dans le quartier de Roppongi à Tokyo que Capcom, ayant déjà entériné un
accord avec Nintendo, dévoile cinq nouveaux projets. Des cinq titres
proposés, quatre d'entre eux sont des licences inédites : Dead Phoenix,
P.N.03, Viewtiful Joe, Killer7. Seul Resident Evil 4 est une suite,
série crée par Shinji Mikami. C'est d'ailleurs sous son égide (director
ou executive producer) que les cinq projets prendront forme au sein du
Capcom Studio Production 4.

La particularité de tous ces titres, y
compris de Resident Evil 4, c'est la volonté ferme et étonnante de la
part de Capcom de jouer le jeu de la différence et de promouvoir des
titres dédiés à la plate forme. Outre les nouvelles licences, le projet
baptisé Capcom 5 est aussi l'occasion de faire appel à des talents, une
pépinière d'idées que Capcom voudrait fraîches et neuves.

Les jeux sont sortis en Europe à des échéances différentes, que nous pouvons cependant séparer en deux vagues : la première en 2003, la
seconde en 2005.

1/DEAD PHOENIX

Ce bal des sorties commence avec un projet avorté : Dead Phoenix. Le 14
août 2003, à quinze jours de la sortie de P.N.03, Capcom annonce
officiellement l'annulation de ce projet. Les raisons invoquées sont
succinctes. Les développeurs sont muets et laissent alors place aux
rumeurs, notamment du revirement du jeu en une ancienne licence de
Nintendo : Kid Icarus. Aujourd'hui, on peut simplement constater que le jeu est définitivement abandonné.

Dead Phoenix évoqua en premier Panzer Dragoon Orta. Cependant, les
combats dans des environnements libres et non pas sur rails sont plus
proches d'un jeu comme Drakengard (Drag-on Dragoon au Japon).

2/P.N.03.

Le premier jeu du Capcom 5 à sortir en France est P.N.03. Sorti le 28
août 2003, il présente un univers aux teintes monochromes, futuristes et épurées. Le titre, sigle pour Project Number 03 est passé par deux
phases de développement.
Directement développé sous le contrôle de Shinji Mikami, director, la
première version du jeu ressemblait à un classique third person shooter (jeu de tir à la troisième personne) dans lequel l'héroïne Vanessa
Z.Schneider parcourait des couloirs pour abattre à l'aide d'un blaster
des robots, les mechs.
En cours de développement, le gameplay s'est vu corrigé de manière
radicale. On ne sait pas vraiment si ce revirement s'est opéré à partir
des premiers échos sur le jeu, par une volonté des développeurs de le
rendre plus attrayant ou par souhait de Shinji Mikami. Néanmoins, cela
démontre bien que la ligne du jeu n'avait jamais été clairement établie
et dévoile peut-être une certaine stérilité créative d'un jeu qui
cherche son identité.
Le nouveau gameplay s'enrichit d'un grain de folie. Le blaster disparaît et les lasers apparaissent directement de la paume de la main.  Lorsque l'héroïne tire, elle ne peut pas bouger, mais quand elle passe
aux esquives, habitée par le rythme, elle s'élance alors en des
mouvements de danses acrobatiques. Grands écarts, roues, le personnage
effectue des mouvements de gymnastes rappelant l'agilité d'un félin.
On dit que Shinji Mikami aurait par ailleurs souhaité appeler son jeu
Jaguar pour souligner ce caractère nerveux et acrobatique du personnage. Le choix du titre se portera cependant sur P.N.03, plus énigmatique et
justifié dans l'intrigue du jeu : Vanessa Z. Schneider découvrant
qu'elle est un troisième clone aux souvenirs construits.
Le jeu n'emportera pas les suffrages au sein de la critique ni au sein
du public, les ventes étant très faibles. Ni le design initialement
accrocheur, ni un certain érotisme qui habite l'héroïne ne rattrapent
une construction répétitive et courte : les couloirs austères se
succèdent et se ressemblent.

3/VIEWTIFUL JOE

Quelques semaines plus tard, le
23 octobre 2003, débarque le très coloré Viewtiful Joe. S'il est
toujours développé par le Capcom Studio Production 4, la section
s'occupant du jeu est appelée la Team Viewtiful. C'est l'apparition au
grand jour de la paire Atsushi Inaba et de Hideki Kamiya. 
Toutefois, ils ne sont pas débutants lors du développement de ce
nouveau jeu. Ils ont participé à de nombreux projets ensemble et non
des moindres. On attribue plus volontiers à Atsushi Inaba la paternité
de Steel Battalion (Tekki au Japon), de la série des Phoenix Whright
(Gyakutensaiban au Japon) et bien évidemment de ce Viewtiful Joe, des
jeux qui soulignent le bouillonnement incessant d'idées originales.
Quant à Hideki Kamiya, on le dit concepteur de certains épisodes
Resident Evil (notamment le deuxième), père de Devil May Cry... Mais il
ne faut pas s'y méprendre, les deux hommes travaillent en étroite
collaboration et la réalisation de Viewtiful Joe revient aux deux
hommes, Mikami étant ici l'executive producer.
Sur la base ancienne voire anachronique du
Beat'em all, Viewtiful Joe recrée avec une pléiade d'idées neuves le
genre. Univers décalé et bariolé en cel shading, aux allures de comics
books, le jeu nous plonge dans le monde du cinéma, avec une dérision,
des dialogues et une mise en scène assumée des séries B. Si chaque
niveau prend pour thème un titre d'un grand film parodié, l'univers qui
les traverse est celui du Sentai (ou Super Sentai). Joe tirerait d'ailleurs son costume du sentai
Kaiketsu Zubat.
Le jeu se déroule en scrolling horizontal et mêle habilement 2D et 3D autant pour servir l'esthétique que le gameplay. Passé
derrière l'écran, Joe dévoile alors ses nouveaux pouvoirs (ou effets
spéciaux) de super héros, en étroite correspondance avec les
possibilités de la pellicule. Gagnés au fur et à mesure de l'aventure,
il pourra ralentir l'action, l'accélérer ou créer un zoom. Si ces
pouvoirs servent à abattre les ennemis, ils sont aussi mis à
contribution pour influer sur l'environnement du niveau : ralentir une
chute de stalactites, accélérer le débit d'eau pour faire monter le
niveau, alourdir une goutte d'eau etc.
Les critiques sont enthousiastes devant une telle débauche d'énergie et
globalement, le jeu est très bien perçu par les milieux spécialisés,
moins par le public. Seule la grande difficulté du jeu, dite old school, nuance les propos.

4/RESIDENT EVIL 4


Il faut attendre 2005 pour voir
arriver les deux derniers jeux du Capcom 5. C'est le 18 mars qu'arrive
Resident Evil 4 (Biohazard 4 au Japon). Il est produit par Hiroyuki
Kobayashi et réalisé par Shinji Mikami. Ce dernier est un pilier dans
l'entreprise Capcom est sa carrière remonte aux années 90. Il gagne sa
renommée en créant la série Resident Evil et rend par la même occasion
populaire le genre survival horror (dont Alone In the Dark de Frederick
Raynal est le pionner).
Resident Evil 4 se devait de redonner une actualité à la série en
évitant de se calcifier dans des codes qu'il avait lui-même établit. Accouché dans la douleur
après maintes révisions de versions, le nouveau jeu phare de Mikami ne trahit par ses ambitions de
nouveauté.
Contrairement aux épisodes précédents dont il n'emprunte que de loin
les références narratives, Resident Evil 4 est conçu comme un jeu
d'action dans un environnement en full 3D, la caméra rapprochée du
personnage principal pour confiner le champ de vision du joueur et
augmenter le stress.
La trame scénaristique étant extrêmement
mince, minimisant l'importance des énigmes et réduisant les allers
retours, le jeu ne doit son salut que par le feu d'artifice incessant
d'idées de level design et une action omniprésente, au sacrifice des
anciennes déambulations solitaires.
Le jeu se fait le pari audacieux de renouveler son offre au fur et à mesure de l'aventure. Outre la surabondance des
ennemis, qui réagissent à la localisation des impacts, à l'utilisation
d'éléments du décor (comme des meubles pour coincer une porte), le jeu
étonne par des séquences de jeu habiles : l'utilisation de QTE (pour
Quick Time Events), combat dans un ascenseur, dans une sorte de train
des mines, une couverture par hélicoptère, des types d'ennemis
différents (sensibles au son, camouflés ou silencieux) et également une
galerie de boss éclectiques.
Les critiques sont unanimes et saluent tous
les compartiments du game design ainsi que la qualité graphique.
L'accueil du public est bon. Resident Evil 4 est celui qui représentait
le plus d'espérances de la part de la firme (on dit que Capcom
escomptait vendre deux millions d'exemplaires) et c'est sans doute pour
cette raison qu'il est le jeu le plus abouti du projet Capcom 5.

5/KILLER 7

 

Killer 7 clôt le projet en sortant le 15 juillet 2005 en Europe (sauf
au Royaume-Uni, interdit). Développé par Grasshopper Manufacture,
Killer 7 est le produit de deux hommes : l'habituel Shinji Mikami et
Suda51 (Goichi Suda), célèbre pour sa série de jeux de Catch, Fire Pro
Wrestling et d'autres projets, certains sortis uniquement au Japon
comme Michigan : Report from Hell, The Silver Case sur PlayStation 2.
Si Suda51 est director de ce nouveau jeu, il se partage néanmoins
l'écriture avec Shinji Mikami, executive producer.
Le jeu se déroule à travers sept personnalités d'un même homme, chacun
d'entre eux ayant une capacité spécifique :crocheter des serrures, sauter haut, ressusciter ses compagnons, tirer des balles spéciales, détruire des murs etc. Le joueur ne se déplace pas de
manière libre, mais suit des rails et choisit un chemin quand il arrive à une intersection. Concernant l'action, le joueur doit repérer ses
ennemis à leur rire, passer en vue à la première personne, scanner pour
découvrir le zombie (ici appelé Heaven Smile) et l'abattre. Il
peut le tuer en un coup en visant son point faible en surbrillance. Le
joueur récolte deux types de sang, l'un servant à augmenter les
capacités des tueurs et l'autre à se soigner.
Killer 7 est le jeu le plus conceptuel du projet. S'émancipant des
critères usuels de qualité, Suda51 déstructure son oeuvre et déstabilise le joueur. Visuellement d'abord,
le jeu surprend. Au loin d'une quelconque démonstration, avec ses
couleurs unies texturées, aplats de couleurs fluorescentes, Killer 7 met en place un univers qui, dès le départ, prend à revers le joueur en
assénant pourtant une critique du monde actuel avec une rare lucidité,
comme si le dépouillement lèverait le voile sur une certaine
vérité. Grâce à un scénario, des cinématiques (et dialogues) qui ne
sont pas un sous genre de cinéma, le jeu peut se targuer d'être une
oeuvre de recherche de l'image.
La critique vidéo ludique a du mal à
appréhender ce projet déroutant et les avis divergent. Il est admis
cependant que la qualité du jeu est affaire de subjectivité. Seule une
petite partie du public sera convaincue : c'est l'échec commercial.
Pour des raisons financière évidentes, Capcom revient sur ses promesses. Dès janvier 2003, l'entreprise annonce que certains titres, sauf
Resident Evil 4, pourraient être portés sur PlayStation 2. Mais en
novembre 2004, des communiqués de Capcom annonce aussi le portage de ce
dernier. Au final donc, Nintendo ne conserve aucune exclusivité. Seul le portage de P.N.03 est annulé en raison de son score de vente ridicule
sur GameCube, dont on ne peut espérer sur PlayStation 2 un meilleur
destin. Au contraire, le portage de Killer 7 a été réalisé pour limiter
un échec commercial pressenti
(aidé par la technologie RenderWare qui facilite les portages).

 

Derrière l'ironie, les conséquences positives

Ainsi, Viewtiful Joe sort le 7 octobre 2004 et Resident Evil 4 le 4
novembre 2005 sur la console de Sony. Concernant la version PlayStation 2 de Killer 7, elle sort en simultanée avec la version GameCube, soit le
15 juillet 2005.
Parce que Viewtiful Joe et Resident Evil 4
sont sortis en différé, des bonus de jeu ont été implémentés. La
version PlayStation 2 de Viewtiful Joe permet de jouer avec Dante, le
personnage crée par Hideki Kamiya et héros de sa série Devil May Cry.
Quant à Resident Evil 4, il propose un nouveau mode de jeu, Seperate
Ways, qui permet au joueur de contrôler Ada dans des séquences de jeu
exclusives.
Déjà vacillant à cause de projets inégaux et
de ventes modestes, le portage sur PlayStation 2, s'il satisfait les
joueurs, est une contradiction de la visée de base de Capcom. La
volonté de développer des jeux uniques pour GameCube est sabordée par
des enjeux financiers et cette « différence » chère à Nintendo est
maintenant disponible, avec une certaine ironie, sur un système
concurrent.

En excluant les considérations économiques, il faut surtout insister que sur le plan humain, le projet a des conséquences positives. C'est avant tout un nouvel éclairage sur ses créateurs. Suda51 s'est récemment
illustré, en concertation avec Mikami en proposant No More Heroes qui
reprend, entre autres, la conception graphique de Killer 7. Shinji
Mikami supervisant le projet dans son ensemble, brille principalement
par le virage réussit de sa série phare et développe la base d'un
gameplay qui semble être de mise pour Resident Evil 5. Avec Atsushi
Inaba et Hideki Kamiya, ils sont intégrés dans le studio Clover,
appartenant entièrement à Capcom. On doit au studio développent des
suites comme Viewtiful Joe 2, Viewtiful Joe : hot rumble par exemple,
mais ils dévoilent également d'autres jeux, comme l'acclamé Ôkami ou God Hands. Clover disparaît en raison de ses maigres résultats financiers
et les trois hommes fondent Seeds, mort-né. Ils fusionnent avec ODD Inc. et deviennent Platinum Games dont les jeux seraient édités
prochainement par Sega.

Si le Capcom 5 termine avec difficulté sa course, il prouve que proposer une alternative au jeu vidéo est possible, message d'autant plus fort
qu'il est porté par un éditeur aimant d'habitude se réconforter par la
redite constante de ses licences. Et enfin, en mettant en perspective ce projet dans l'éventail des jeux sortis sur 128 bits, trois d'entre eux, Viewtiful Joe, Resident Evil 4 et Killer 7 ont rafraîchi un paysage
vidéo ludique de
plus en proie à la standardisation.

 

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