de Bokurano

Il est de ces chasseurs surentrainés qui depuis bien longtemps,
dotés d'une minutieuse connaissance du terrain et d'une véritable
artillerie dans le veston, ne s'attaquent à une proie qu'à l'aide du
fusil. Ils fouillent chaque recoin potentiellement dangereux, débusquent toutes les têtes en l'air, abattent tout ce qui leur tourne le dos avec une efficacité hors du commun. A vrai dire, un tel chasseur tient maintenant plus du robot avec
ses automatismes que de l'Homme.

Malheureusement il n'a toujours pas appris la patience, il faut
dire qu'il est pressé et qu'il n'a pas que ça a faire d'attendre
patiemment que sa proie veuille bien sortir de sa cachette. Ses rivaux
sont aussi de la partie et de ce fait la concurrence est rude. Le tueur
sort son manuscrit d'une poche : 22 tués - mort 7 fois, pas mal se
dit-il mais il sait qu'il ne sera pas le meilleur durant cette petite
chasse. Son bétail préféré, le noob, se raréfie et il doit affronter
d'autres chasseurs d'un tout autre gabarit. Il sait que le noob évolue,
qu'il change et qu'il s'affine même s'il a oublié depuis bien longtemps
qu'il en fût un lui-même.
Il s'arrête un moment et se remémore cette belle époque où il
n'avait qu'à tirer un coup en l'air pour voir la volaille noob détaler
sous ses yeux, prête à se sacrifier pour que le chasseur étoffe sa
collection. Depuis quelques temps le chasseur est stressé, toujours à
l'affut de son ratio, il lui arrive même parfois de devenir la proie
d'un chasseur plus efficace, et il ne peut le supporter. Heureusement il peut encore s'évanouir dans la nature et sauver le plus important :
déconnexion.

Le fusil à terre, les poings serrés, notre homme abandonne toute
sa panoplie du chasseur devenue encombrante pour se travestir en maître
dans l'art du combat. Même si le genre est différent, c'est un peu la
même histoire qui se réitère. Le combat commence, son nouvel avatar
resserre son bandana rouge, le regard assuré et le front plissé, il se
met en position de combat et comme une prière, il psalmodie son adage «
The answer lies in heart of battle ».
L'ancien chasseur pouffe de rire devant le ridicule de la phrase
et commence sa danse effrénée de hadouken et shoryukken. La dernière
fois qu'il était dans l'arène mondiale du live, sa tactique, des plus
classiques quoique très répétitive, faisait ses preuves et d'ailleurs la plupart des autres combattants l'utilisaient eux aussi. Et pourtant son adversaire évitait et contrait chacune de ses attaques, comme s'il
n'était plus qu'un vulgaire livre ouvert dans lequel on pouvait lire
chacun des mouvements qu'il allait entreprendre.
En rage devant sa propre impuissance ce combattant désormais
désuet insulte son adversaire d'anti-joueur, de no-life qui passe sa vie à jouer puis s'en va toujours en comptant réutiliser sa tactique dont
il est le plus fier mais avec un autre adversaire, un noob de
préférence. En attendant il fait un petit tour de magie : Pouf ! Disparu !
Il n'allait tout de même pas entacher son score pour un maudit
arriviste chanceux. Notre homme sera désormais prudent, il choisira
minutieusement ses adversaires, évitera les conflits qui pourraient se
terminer en sa défaveur. L'homme reste optimiste, il sent qu'il pourra
de nouveau se pavaner de chiffres, s'habiller d'un ratio flatteur et
autoritaire, rabaisser ses collègues aux scores plus modestes. La
victoire est son parfum et il embaume son profil de pourcentages
positifs et c'est pour lui la seule chose qui vaille la peine dans un
monde de compétition.

Pendant ce temps, le guerrier au bandana rouge s'assied enfin, il
se repose des combats sans fin auquel il est virtuellement assujetti. Il a beau ne pas être réel, il demeure un rêve inspiré d'une philosophie
de combat toujours existante. Une philosophie dans laquelle le combat
est un lien entre deux individus, où l'on est conscient que si la
victoire n'est pas une fin en soi, seule la défaite est source
d'apprentissage. Il se relève et repense au combat ridicule qu'on vient
tout juste de lui faire mener, les poings toujours serrés, son
entrainement reprend : Pif Paf Pouf.