Et il insiste dans l'interview sur jeuxvideo.com, expliquant qu'un jeu ce n'est pas un film ou un livre (oui !!! il y a des devs qui le savent encore !!! J'en suis le premier surpris), et donc il faut agir sur la manipulation du joueur. La manipulation, bref quand on a le contrôle.

Pour créer la peur dans Alone in the Dark, Raynal avait mis des morts injustes, genre le plancher craque et on est mort ; comme ça après on avait peur de se déplacer. Pareil, on ouvre la porte d'entrée du manoir et on crève ; comme ça après on a peur d'ouvrir les portes. On pourra toujours débattre du bien-fondé de ces morts injustes, mais contrairement à Lara Croft et Heavy Rain, il y a du concret derrière. On ne nous parle pas en termes abstraits faits d'émotions et d'empathie baveuse. Raynal agit directement sur le joueur, avec des éléments du jeu, et quand on joue. Il punit le joueur injustement une première fois pour le mettre en stress pour la suite. La question n'est pas de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise méthode, si ça fonctionne ou non. C'est une idée louable, qui mérite d'être essayé. Ce que je veux dire, c'est que c'est parlant. Le gars explique sa méthode avec des mots simples, on a aucun mal à imaginer où il veut en venir ; reste plus qu'à essayer pour voir si ça marche.

Par contre les QTE ça pratiquement tous les joueurs trouvent ça pourri, alors pour se convaincre que ça ne l'est pas parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de rendre une cinématique jouable, les devs sont obligés d'inventer des formules alambiqués en parlant d'interaction à but empathique où je ne sais quoi. Sauf que ça reste pourri, et qu'ils essayant de s'auto-convaincre probablement parce qu'ils sentent que quelque chose cloche. Ce qui cloche, c'est de penser le jeu vidéo avec un vocabulaire de cinéma.

Sans corps ni âme

Dans Hotline Miami, je suis au chapitre 11 et je n'ai toujours pas vu le visage du héros, que je ne vois que de haut. Le jeu est moche, et il n'y a pas de cinématique. Pourtant je suis dans la tête du héros, je perçois les mêmes chose que lui, un monde déconcertant où ce qui est réel se confond avec les hallucinations.Je ne sais pas ce qui tient du délire, je ne vois pas la différence, car le héros ne le voit pas non plus.

Dans Blood Money je suis dans la tête du héros quand je joue. J'observe, j'élabore, je planifie, je stresse quand je viens d'éliminer une cible. Même dans Motostorm où on ne voit pas le pilote à part en moto, je suis dans la tête du pilote, car je fais ce qu'il devrait idéalement faire ; choisir le bon tracé, faire attention aux reliefs, booster aux moments appropriés.

Les jeux vidéo sont basés sur des automatismes. On appuie, et le héros agit. Certains mouvements sont plus automatisés que d'autres, et normalement l'idée c'est de devoir gérer les actions qui définissent le personnage. Dans Blood Money toute la partie plateforme est automatisée au point du no-skill, car dans la logique du jeu, ce n'est que du déplacement, ce n'est pas ça l'important. Par contre dans Uncharted, ça pose problème car on a là un élément normalement central d'un jeu d'aventure, tout comme les énigmes faciles sont décevantes pour un jeu de chasse aux trésors.

C'est là où on voit apparaître les héros en mousse, ces héros avec lesquels on ne fait pas corps car les contrôles sont mal pensés. Quoi de plus agaçant que Cole dans Infamous qui s'accroche à tout et n'importe quoi sans qu'on le lui demande, alors qu'il suffirait d'une touche accrocher pour régler le problème, comme dans Shadow of the Colossus ? Quoi de plus agaçant qu'un Ezio qui saute dans la direction qu'il veut car il n'y a pas de touche sauter ? Non, lui il saute en arrivant au bord d'un toit, et sur la droite ou la gauche quand on voudrait aller tout droit.

Si on pousse un peu plus loin, il y a de nombreux aspects des gameplays des shooters qui sont automatisés, où le héros joue à notre place. Le rechargement automatique par exemple. Plus de balles ? Pas grave, au lieu de tirer dans le vide, le héros recharge automatiquement, et ça fait une chose de moins à gérer pour le joueur. Pourquoi s'ennuyer à mettre des impacts de balles ? Le héros absorbe les tirs et peut continuer à tirer.

Jusqu'à la PS2, les jeux essayaient de traduire les actions du héros via les contrôles à la manette. Spammer une touche pour simuler l'effort. Diriger le stick vers le haut pour faire monter un héros sur une plateforme. On retrouve d'ailleurs cette logique du contrôle dans Grand Theft Auto 4. Pousser le stick, et le héros marche. Appuyer sur X, il court. Spammer X, il sprinte. C'est je pense ce qui constitue l'alphabet des contrôles du héros, et c'est ce qui rend les courses-poursuites de GTA4 passionnantes ; devoir gérer à la fois la conduite, et à la fois la visée lorsqu'on souhaite tirer. Ce n'est pas évident du tout, et c'est normal car ça n'a aucune raison de l'être.

Mais aujourd'hui ces éléments fondamentaux disparaissent au profit d'une expérience soi-disant cinématographique. T'appuies sur un bouton et le jeu joue tout seul. Joel de The Last of Us arrache des portes d'une simple pression de bouton. David Cage cherche un nouveau langage, et pour l'instant il bégaye sévèrement trois borborygmes et se fait rétamer par The Walking Dead en terme de confort de jeu, et d'immersion par les contrôles (et d'écriture aussi, mais ce n'est pas le sujet).

Lorsque Batman Arkham Asylum propose des combats automatisés, on ne fait pas corps avec le héros, par contre on est dans sa tête ; les automatisations de Batman, au moins dans les combats, visent plus loin que le skill ; on ne fait pas attention à qui est frappé, mais sur qui on va frapper. On planifie des stratégies de manière active, on a idéalement un coup d'avance sur les adversaires. Batman se joue un peu à la manière de Tetris ou Lumines, on regarde ce qu'on fait tout en ayant un oeil sur la pièce suivante afin de lui trouver une place avant qu'elle soit disponible ; si on perd le fil, on fait des erreurs. Dans Batman, on anticipe et on planifie pendant que le héros cogne ; est-ce que je peux placer cette élimination, sachant que le mouvement prend du temps ? Si on place des mouvements spéciaux sans réfléchir, généralement les ennemis brisent notre combo, parce que ce n'était pas le bon moment, ou pas le bon endroit.

Bref, il faut que quelque chose nous lie concrètement à un héros. Je pense que ça passe par ce qu'on gère, mais surtout par ce qui est pertinent à gérer. Dans les jeux de sports actuels, j'ai remarqué qu'on en avait parfois trop à gérer. Avant les commandes d'un jeu de hockey étaient simples, on faisait un tir plus une passe, et on gérait le match de manière globale et stratégique. Aujourd'hui les contrôles sont devenus affreusement complexes, si bien qu'on doit à la fois gérer la stratégie du match dans son ensemble, mais aussi le joueur en particulier. Il y a plein d'actions différentes durant le match, puis les contrôles sont encore différents lorsqu'on bloque un joueur contre la vitre, puis encore différents quand on se bagarre. Infernal... C'est comme si Batman avait des contrôles très complexes en plus de sa dimension stratégique, on ne saurait plus où donner de la tête.

C'est la contradiction de cette gen ; les jeux de sports (ceux que j'ai essayé du moins) sont devenus imbuvables car ingérables, et les jeux à histoire sont devenus simplistes avec des héros en mousse. Pourtant les choses à gérer ne rendent pas forcément un jeu plus compliqué ; elles auraient tendance je pense à rendre les déplacements plus précis, et les gameplays plus profonds et intéressants, à peu de frais.

En jouant avec la localisation des dégâts, les impacts de tir, les différentes de calibre, un shooter reste un jeu où on tire sur l'adversaire, mais ces éléments offrent des nouvelles possibilités aux joueurs, et donc des stratégies. Même chose avec la plateforme ; devoir gérer les prises, chercher son chemin, prêter attention à son endurance, ça me semble infiniment plus immersif que de pousser un stick dans une cinématique géante.

J'ai bien du mal à comprendre le plaisir qu'on peut prendre à un jeu simpliste et limité, basé sur des règles sans corps, âme ni logique, quand visuellement tout hurle au photo-réalisme ou au moins une forme de crédibilité. Je ne ressens rien quand ce que je fais à la manette n'est pas en rapport avec ce qui se déroule à l'écran. Si on doit être réduit à un statut de spectateur face à une image qui bouge, le cinéma fait ça bien mieux que le jeu vidéo.