La gen actuelle a démocratisé (car ça devait exister déjà auparavant) l'objectif abstrait ; en gros on joue mais on ne joue pas, on avance sans avancer, on fait beaucoup de choses qui n'aboutissent à rien. Quel est le problème ? Peut-être tout simplement une absence d'objectif.

Les objectifs valables

Il y a je pense deux types d'objectifs dans un jeu solo, l'objectif cohérent, et l'objectif concret, termes de mon invention pour faciliter les explications qui vont suivre.

L'objectif cohérent

L'objectif cohérent, c'est lorsque l'objectif du héros et du joueur sont le même. Dans Hitman Blood Money, 47 a plusieurs cibles à abattre, et des objets à récolter. Pour le joueur, c'est la même chose, sinon il ne pourra pas compléter la mission. Les sous-objectifs du héros sont de rester discret, et de trouver comment accéder à ses cibles. Pareil pour le joueur.

Tout le reste est secondaire. Les ennemis, les portes verouillées, tout ça sert seulement d'obstacles à notre progression dans le jeu (comme dans Splinter Cell) ou notre résolution du problème ; c'est entre nous et l'objectif à atteindre.

Je considère personnellement que l'objectif cohérent est la forme la plus raffinée du jeu vidéo solo. Les devs sont parvenus à créer un lien entre le joueur et le héros, et même si le joueur n'en a pas conscience, il joue à quelque chose qui a du sens et se présente comme une expérience virtuelle.

L'objectif concret

L'objectif concret, c'est lorsque l'objectif du joueur est différent voire contradictoire avec celui du héros, et où il se crée un jeu dans le jeu. Vagrant Story, Final fantasy Tactics par exemple. Dans Vagrant Story, l'objectif du héros est de sortir du donjon ; celui du joueur de s'y attarder, de trouver toutes les pièces, ouvrir toutes les portes fermées et découvrir tous les coffres. Dans Dragon's Dogma, l'objectif du héros est de récupérer son coeur arraché par un dragon, et celui du joueur de partir à l'aventure, ou de remplir une multitude de quêtes annexes.

En gros, pour faire simple ; l'objectif du joueur est de devenir plus fort pour vaincre les méchants, qu'il le veuille ou non d'ailleurs car généralement ces jeux-là nous empêchent de progresser si on n'a pas le niveau nécessaire. Tout ce qu'on fait dans le jeu participe à nous renforcer. Jeu de cartes dans Final Fantasy 8, course de chocobos dans le 7, pouvant devenir eux aussi des mini-jeux dans le jeu dans le jeu. Même si certains aspects sont parfois tirés par les cheveux, voire pas du tout encourageants, tout est au final utile. Il y a une raison de le faire, un objectif.

Et une fois devenu fort, on peut aller affronter les méchants du jeu, les boss et personnages maléfiques. Devenir plus fort peut être un objectif aliénant, le levelling étant considéré (à juste titre selon moi) comme un archaïsme. Mais il a du sens. Lorsque j'enchaîne les combats aléatoires dans Final Fantasy tactics, c'est pour gagner de l'XP, et donc pouvoir débloquer des compétences, en vue d'un combat scénarisé à venir. Cela peut aussi dévier vers un objectif de complétion, tare selon moi des J-RPGs, mais on reste quand même dans une complétion utile, qui renforce le (ou les) personnages jouables, la complétion étant un effet secondaire.

Les objectifs invalides

L'objectif à très court terme

Puis il y a les jeux sans transcendance. Dans Uncharted, le scénario me dit que je pars à la quête au trésor. Moi je passe mon temps à tuer des centaines de pirates. Mon but lorsque j'arrive dans une arène, ce n'est pas de progresser dans l'aventure, c'est de tuer tout le monde pour passer à la prochaine arène.

Le jeu n'a pas de transcendance. J'avance pour avancer et répéter le même shéma en boucle, ou pour voir une cinématique qui n'a aucun rapport. Les ennemis sont une fin en soi, au lieu d'être un obstacle secondaire. Drake fait les choses de son côté, parlant de retrouver Elena ou n'importe qui d'autre, moi je tue. Quand arrivent les éléments d'un jeu d'aventure, plateforme et énigmes, ils sont si simplistes que malgré tout ce qu'on pourra dire, Uncharted reste à 95% un Third Person Shooter, certes drapé dans un habillage original pour le genre.

Et c'est le cas de plein de jeux actuels. Ils sont habillés en jeu d'infiltration, de survie, ils ont une direction artistique "exceptionnelle"..., tout ce qu'on veut, et pourtant on fait toujours le même truc ; on tue tout le monde. Peu importe l'histoire, peu importe n'importe quoi, on tue tout monde.

Bizarrement, dans un jeu où il pourrait être légitime de se contenter de ça, ce n'est pas le cas : Killzone 2. Dans de nombreuses arènes, on ne doit pas tuer tout le monde, on doit briser les lignes ennemies, ce qui apporte une nuance de taille. En tant que jeu de guerre, Killzone 2 diversifie les objectifs pour servir son propos ; celui d'un jeu de guerre. On devra tenir une position, en conquérir une autre plus tard, survivre à une embuscade. L'ennemi est à nouveau secondaire, l'obstacle entre nous et l'objectif. Un autre dans le même cas , Dead Island où on aura tendance à éviter les zombies pour remplir la mission.

Mais le reste du temps, si tous les jeux en viennent à se ressembler malgré les variations dans le gameplay, c'est parce qu'il n'y a pas d'objectifs valables. Le gameplay n'est pas du tout adéquat pour le jeu, ne véhicule absolument rien d'autre que la mécanique du nettoyage par le vide. Ainsi même un Bioshock Infinite qui paraît si formidable, et en fait aussi limité vidéoludiquement qu'un autre. Et donc narrativement, par la même occasion, car son gameplay ne raconte rien.

L'objectif abstrait

Le jeu à compléter ressemble à un jeu aux objectifs concrets, c'est-à-dire ceux où il y a un jeu dans le jeu. Sauf que dans ce cas-là il n'y a pas de jeu, mais une pure négation du game-design.

Dans Assassin's Creed, il y a des myriades de trucs à compléter, mais sans aucun objectif autre que de tout compléter, et sans aucun rapport avec quoi que ce soit. Pareil dans Far Cry 3, on fait plein de trucs qui n'ont absolument aucun sens, si ce n'est de compléter le jeu à fond. Évidemment en complétant on gagne des choses, XP ou argent, mais ça ne nous conduit nulle part, si ce n'est vers l'objectif abstrait ultime ; le trophée/succès.

Car si les bonus permettent de débloquer des choses, ça ne sert qu'au début. Dans Far Cry 3, je peux avoir débloquer toutes les armes, tous les équipements et avoir conquis la carte avant même le chapitre 2 du jeu. Dans AC ou GTA ou RDR on finit par gagner tellement d'argent qu'il n'a plus aucune utilité, et vient parfois rendre le jeu incohérent. Pourquoi Nico Bellic irait braquer une banque alors que j'ai déjà amassé 100 000 dollars sur son compte ?

Donc on enchaîne les missions souvent répétitives... pour rien de concret, pour passer du temps sur le jeu, parce que c'est là et qu'on n'a rien d'autre à faire. Dans Far Cry 3, dans une mission d'assassinat où je dois tuer la cible au couteau, je peux foncer sur cette cible puis me téléporter à un QG pour éviter de me coltiner les autres ennemis. Pareil quand je chasse, je tue un ours, je récupère sa peau, et hop téléportation au QG. Le jeu est pensé pour être complété sans se fatiguer ni se frustrer, je dirai même pour se compléter machinalement. Comme les missions annexes d'AC qu'on fait en boucle car elles n'ont aucun intérêt, ne demande qu'un minimum d'investissement.

Donc le peu que ça pourrait raconter (aller assassiner une cible discrètement et s'échapper sans se faire prendre) est annihilé par un game-design pensé accessible, donc en gros du non-jeu vidéo.

Le jeu-cinématique

Dans Metal Gear Solid, une cinématique se charge d'illustrer notre première rencontre avec Sniper Wolf. Planquée sur une passerrelle, elle immobilise Meryl d'un tir à la jambe. Snake ne peut rien faire, il doit partir chercher un fusil sniper pour pouvoir l'affronter. En gros la cinématique sert entre autre chose à fournir un objectif de jeu au joueur.

Mais aujourd'hui les objectifs du scénario sont parfois remplis par les cinématiques plus ou moins interactives. On survit grâce à des QTE, ainsi l'animal le plus dangereux de Far Cry 3, à savoir le requin blanc, est paradoxalement le plus facile à tuer. Bravo les potes ! L'agonie d'un Max Payne 3 est si dramatique que pour réussir ce passage, nous on a juste à incliner le stick en baîllant d'ennui. Bravo les potes !

Le pire, le plus insultant, c'est qu'en plus d'être d'une médiocrité alarmante sur le plan ludique et narratif, le jeu-cinématique nous impose une histoire pourrie. Dans Max Payne 3, le gars agonise à cause d'une blessure au bras, mais dès qu'on lui met un bandage il est à nouveau en pleine forme. Youhou ! Dans Uncharted 3, la traversée du désert, passage qui se veut plus ou moins existentiel alors que Drake est un héros insiginifiant, se règle de la même façon :"Bouhou j'ai soif et j'agonise, mais dès qu'il y a un gunfight je suis à nouveau dispo !" Bravo les potes !

Dans Red Dead Redemption où souvent la mission consiste à aller d'une cinématique à une autre, John Marston doit retrouver des brigands dans le but de sauver sa famille kidnappée. C'est pour cette raison qu'il prendra tout son temps, évidemment !, philosophera auprès de ses compagnons durant les longs trajets, et aidera le plus de personnages débiles possibles à faire des trucs débiles.

Et nous quand on joue ? Nos compagnons tuent la moitié des ennemis dans des missions si courtes qu'elles sont inconsistantes. On garde des vaches... On tue des corbeaux... Le tout mené par un scénario qui non seulement est incohérent à en pleurer, mais en plus constitue la principale attraction du jeu, car tout tourne autour de lui...

Le but du jeu-cinématique, c'est de s'approprier tout ce qui appartient normalement au joueur, c'est de faire un jeu à l'envers en rendant les cinématiques jouables alors que ça détruit leur potentiel narratif et émotionnel, et le gameplay inintéressant par une suite d'actions simplistes qui ne racontent rien, les devs s'imaginant que le héros et le joueur fusionnent dans une sorte d'interaction empathique propre à émultionner l'émotion, où je ne sais quelle connerie qu'ils se racontent entre eux en élaborant des formules compliquées pour se convaincre que leurs visions sont intelligentes (Pedrof a noté la formule pour Tomb Raider, lui aussi a été traumatisé !).

Dans ce jeu-là il n'y a même pas d'objectif. Et les tentatives de varier le gameplay pour le varier sont rarement convaincantes, car artificielles. Dans Uncharted 3 il y a des courses-poursuites et du Batman AA du pauvre, et loin d'améliorer la formule, ces éléments la font régresser. Dans Max Payne 3 les objectifs des missions sont remplis par d'incessantes cinématiques ; nous on tue, on tue, on tue. Mais on ne peut pas poser des bombes ni monter à des échelles, ça c'est la cinématique qui s'en occupe. Par contre lorsqu'il y a une marche forcée pour niquer encore plus le rythme du jeu, là oui on y a droit pour établir une connexion fusionnelle entre l'élément virtuel et le récepteur organique... Ahhhhhhhhhhhh !!!!!!!!!!!!!!!!