Evidemment, elle est généralement accompagnée de vannes totalement beauf sur la personnalité qui a fait la déclaration ("MDR Kristof Lambér se filozof !"), ainsi que, forcément, un exemple PERSONNEL sur la base suivante "J'ai joué à [insérer jeu violent ici] quand j'étais petit, pourtant je n'ai jamais [insérer cas pathologique ici]".

Si j'insiste sur le mot PERSONNEL, c'est pour une raison qui devrait interpeller tous ceux que je vais me faire une joie de critiquer dans cet article : pourquoi faire de votre cas une généralité ? Imaginez une seconde, dans un cas beaucoup plus sérieux et extrême (puisque scientifiquement avéré, contrairement à l'impact de l'ultraviolence sur un joueur), qu'un fumeur de 80 ans déclare :"Moi à 20 ans je fumais déjà 3 paquets par jours, et là à 80 ans j'ai pas de cancer, donc l'impact du tabac sur l'organisme, hein.". Cela ne serait pas fermer les yeux sur l'énorme majorité des fumeurs de longue date qui subissent les conséquences de plusieurs décénnies de tabagisme, aussi petites soient-elles ?

Dans un sens, c'est la même chose pour la violence dans le jeu vidéo. Chacun se base sur son expérience, c'est vrai. Et c'est vrai aussi que la partager est très important pour qu'on se rende compte de la réaction de chacun face à cela. Donc il me semble important d'apporter un contre-exemple, évidemment totalement personnel, et donc absolument pas (forcément) représentatif de ce qu'un enfant peut avoir comme réaction face à un jeu vidéo violent. Mais ça me semble important de la partager, parce qu'elle est en contradiction partielle avec les phrases toutes-faites citées dans cet article.

Alors je commence avec une phrase toute-faite, totalement formatée et quasiment dénuée de sens : moi à 10 ans, je jouais à GTA, et ça m'a énormément perturbé.

Quand GTA 3 est sorti j'avais 10 ans, j'avais une version PC piratée d'un cousin ou je ne sais quoi, d'ailleurs elle fonctionnait affreusement mal sur mon PC, et tous les textes étaient buggés (à la place de lettres il y avait un rectangle noir), ce qui m'empêchait de sauvegarder. Donc oui pendant environs 2 ou 3 mois j'ai refait le début de GTA 3 à outrance. Je me souviens que quand le jeu s'est enfin lancé, je m'étais écrié, tout content "Ca y est, j'ai GTA 3 !", ça devait être l'attirance de l'interdit, du tabou, et comme je n'avais pas internet, j'entendais des trucs de malade à propos du jeu dans la cour de récré (un camarade m'avait même dit qu'on pouvait foutre un cadavre dans un coin, et le découper avec une tronçonneuse, avec les boyaux qui sortaient et tout, ce qui était bien entendu totalement faux, et ça l'est toujours plus de 10 ans après). Je pourrais réciter le dialogue du début de GTA 3 tellement je l'ai vu, mais petit à petit, évidemment le morceau de ville que je pouvais visiter ne me suffisait plus, et j'ai rapidement appris à utiliser des codes pour m'envoler vers les autres morceaux de ville.

Tout cela pour dire, mon expérience avec GTA 3 était pleine d'interdits que je brisais. Ca aurait pu être une expérience exceptionnelle, vraiment. Le souci, c'est que j'avais 10 ans, et que j'ai à peu près toujours été un garçon influençable, assez peureux (le simple fait de voir une jaquette de film d'horreur me faisait trembler), et globalement très politiquement correct.

GTA 3 me perturbait beaucoup. Le fait de me dire que je pouvais tuer qui je voulais dans le jeu, c'était un concept effrayant pour moi. Je ne jouais pas à un jeu vidéo débile où écraser des gens était le but du jeu (à la Carmageddon). Non, je jouais à un jeu où il m'était possible de faire ce que je voulais, et sachant que je ne faisais les missions de scénario, je n'étais absolument jamais obligé de tuer des gens dans le jeu. 

J'allais même jusqu'à éviter les accidents et je m'arrêtais aux feux rouges quand il y avait des voitures devant moi (d'ailleurs ça énervait mes amis qui me prenaient le clavier en me disant que je savais pas jouer). Je me sentais mal quand j'écrasais des innocents, et même si j'adorais le jeu j'appréhendais toujours d'y jouer... C'était très étrange comme sensation, cet espèce d'entre-deux. Jouer à GTA 3 me rendait mal à l'aise, mais j'avais le besoin d'y retourner. Aujourd'hui je connais mieux les rues de Liberty City que celles de mon quartier, et écraser des gens sans conséquences dans un lieu que je connais mieux que chez moi, c'est quelque chose de vraiment perturbant (j'ai cherché un autre mot, j'en ai pas trouvé). Il n'y a plus d'interdit, il n'y a plus de représailles, et il n'y a de conséquence ni pour la mort, ni pour l'arrestation. Et là, effectivement, la ligne entre réalité et fiction peut doucement d'effacer.

Sans aller jusqu'à dire que ça m'a traumatisé (parce que j'en ai gardé aucune "séquelle", si je puis dire), j'ai souvent eu du mal à dormir à cause de ça. 

L'exemple le plus récent pourrait être la fameuse scène de l'aeroport dans Modern Warfare 2, dans laquelle quelqu'un qui comprend l'histoire saura qu'on est un mec infiltré chez des terroristes, mais l'enfant influençable de 10 ans que j'étais aurait vu une scène où on massacre des centaines d'innocents sans raison. Il y a énormément de jeux où c'est le cas, mais je ne vais pas tous les citer.

Au moment de devoir conclure cet article, qu'est ce que je devrais en retenir ? Que les jeux vidéos, au final, sont plus "dangereux" que les armes ? Au fond, cette phrase que j'ai utilisée pour le titre de cet article serait parfaitement applicable à moi-même. Oui j'ai joué à GTA à 10 ans, et non je ne suis pas devenu un tueur psychopathe. Est-ce que cela signifie qu'il faut mettre de côté tout impact de la violence sur les enfants ? Certains diraient que ce sont des expériences comme ça qui forgent une personnalité, surtout à l'aube de l'adolescence. D'autres diraient qu'il y a des choses similaires au cinéma ou dans la littérature - je me souviens notamment de Carrie de Brian de Palma et Christine de John Carpenter qui m'ont fait passer des nuits blanches - mais aucun ne m'a fait un tel impact, tout simplement parce que j'étais effrayé par autre chose que moi, par une histoire qui m'était racontée. Le jeu vidéo, lui, m'a effrayé de mes propres actes.

Le jeu vidéo, lui, m'a effrayé de moi-même.