Ce texte est une traduction que j'ai réalisée à partir de cet article en Anglais : https://www.gamecritics.com/sparky-clarkson/cinematic-action-gunplay

Uncharted 3 doit être joué en très facile. Je dis ça et pourtant j'ai l'habitude de faire mes jeux en normal, parce que je considère que ce mode doit délivrer l'expérience voulue par les développeurs au joueur moyen. Je change le niveau de difficulté (plus haut ou plus bas) seulement lors d'une deuxième partie et j'ai rarement trouvé que ça améliorait mon expérience. Dans le cas d'Uncharted 3 et de jeux qui lui ressemblent, c'est différent. L'objectif de placer le joueur dans la peau d'un héros de film d'action entre en conflit avec le fait de lui demander beaucoup de skill manette en main.

Je ne veux pas dire qu'au cinéma les héros ne se retrouvent pas dans des situations délicates. Les enjeux de drames comme Impitoyable par exemple, reposent plus sur la faible fiabilité des armes que sur l'habileté des protagonistes à s'en servir. Dans un film d'action, le challenge du héros a moins à voir avec sa visée qu'avec le nombre de balles dans son chargeur comparé au nombre de ses opposants. Un héros de film d'action rate généralement sa cible uniquement quand il en a l'intention, ou dans de rares occasions quand le tir manqué sert une fin comique - Britt qui prétendait "viser le cheval" dans Les Sept Mercenaires. Bien sûr ces films gèrent les opposants différemment. Le héros compétent et sûr de lui peut survivre à plusieurs blessures par balles alors que ses adversaires tirent sans grande conviction dans tous les sens et tombent à la moindre balle qui leur passe à côté.

De ce point de vue plusieurs conventions de gameplay souvent critiquées participent à l'esthétique de l'action cinématographique. L'auto-régénération et l'aide à la visée accordent au joueur la résistance et la compétence des héros de films d'action quelque soit son propre niveau. L'aide à la visée est une innovation particulièrement utile pour le jeu console, où les sticks rendent la visée moins intuitive et réactive. L'objection selon laquelle ces choix de design reviennent à ce que le jeu se joue tout seul est tout à fait juste, mais ne constitue pas une critique légitime si l'intention est de garder un rythme cohérent qui soutient l'élan de la narration.

Dans un jeu d'action cinématographique le joueur doit toujours aller de l'avant, parce que l'intérêt du jeu est à la fois de raconter une histoire et de stimuler le joueur. Du point de vue du résultat à l'écran, une difficulté qui force à rejouer une séquence est à bannir puisqu'elle stoppe la progression et transforme le jeu en un film au mieux très désagréable à regarder. D'un point de vue artistique, l'échec du joueur dans une séquence jouable le différencie du personnage. Un gameplay qui fait se sentir le joueur vulnérable et pas bon est à l'opposé de l'intention du jeu qui est de le placer dans la peau d'un héros de film d'action. Comment le joueur peut-il se prendre pour l'accrobate et as de la gâchette Nathan Drake quand il se voit rater sa cible à bout portant et enchaîner les chutes mortelles ?

Sous certains aspects Uncharted 3 évite l'écueil. Les couleurs accentuées sur les prises possibles lors des séances de plate-forme préviennent un bon nombre de soucis sur cette partie. Le joueur est rarement incertain quant au prochain rebord à atteindre, même si occasionnellement la destination-objectif de la séance d'escalade n'est pas très claire. Et même alors, les points de passage abondants peuvent toujours positionner le joueur dans la bonne direction pour avancer.

Sur la partie des fusillades cependant, Uncharted 3 échoue grave. En mode normal l'aide à la visée s'est fait la belle et le réticule bouge de façon extrêmement paresseuse. Même viser une cible immobile est une plaie avec ce système, et il n'est pas rare que les ennemis se mettent à courir pour charger le joueur ou le contourner. Presque tous les ennemis encaissent plusieurs balles avant de tomber, et le besoin qui s'ensuit de tirer à la tête rend le caractère minutieux de la visée encore plus problématique. Un tir qui touche sans tuer n'est même pas sûr de déstabiliser un ennemi, et ça combiné avec leur tendance kamikaze réduit la maneouvre de tir à l'aveugle à un vain gaspillage de munitions.

Vous l'aurez compris, les fusillades ont été pour moi à la fois désagréables et porteuses de frustration. Leur difficulté était exacerbée par les décors grands et ouverts, la tendance systématique au contournement d'ennemis nombreux et agressifs et l'incompétence générale de l'IA alliée. Me faire constamment tuer au fusil à pompe à bout portant par des ennemis en armure que je n'avais même pas vu arriver par derrière, être submergé par des vagues d'ennemis que je n'arrive pas à suivre avec le réticule ou à ralentir à coup de tir en aveugle, et bien ça m'a plus fait sentir comme un type en léger surpoids qui n'a jamais tenu une Kalashnikov de sa vie plutôt qu'un action hero hollywoodien. Même quand je ne mourais pas, les fusillades me semblaient longues - un labeur ennuyeux dans lequel s'enlisait le jeu. Le pire fut encore ces nombreuses séquences où je mourais à répétition en cherchant un moyen de survivre aux multiples vagues d'ennemis.

Mettre la difficulté au niveau le plus bas atténue la plupart de ces problèmes. L'aide à la visée est de retour et les ennemis sans armure tombent généralement en une seule balle, au pire en une rafale. En conséquence, la tendance des ennemis à passer dans notre dos est beaucoup plus gérable malgré la largeur des niveaux, et même les batailles dans de mauvaises conditions (bateau qui tangue, tempête de sable) deviennent supportables. Le mode "très facile" donne ainsi plus l'impression d'incarner un héros de film d'action, ce qui semblait quand même être le but.

Les jeux Uncharted ont toujours eu du mal à intégrer les fusillades à l'univers, à nous faire croire qu'elles se passent dans le même monde que celui des cinématiques. C'est pire dans Uncharted 3 où l'utilisation laborieuse des armes fait de Drake un combattant assez nul à côté du genre d'ex-Marine que les cinématiques dépeignent.

À une époque où des jeux comme Demon's Souls et Super Meat Boy sont acclamés pour leur difficulté, il peut sembler contraire de réclamer à un jeu d'être plus facile, de surcroit quand la linéarité de ce dernier a déjà essuyé les sarcasmes des hardcore gamers. La question cruciale cependant ne concerne pas le niveau de difficulté d'un jeu en lui-même, sinon comment ce niveau de difficulté sert l'intention du jeu. Du fait qu'un jeu d'action cinématographique valorise la narration de l'histoire et le rythme, le gameplay devrait être d'abord conçu pour aider le joueur à se sentir dans la peau du personnage.

Du tir facile n'est donc pas toujours la solution. Dans le cas des jeux Uncharted cependant, une difficulté élevée est un mauvais choix. Le design inapproprié de l'utilisation des armes dessert la caractérisation que fait le jeu du personnage de Drake et interfère avec le rythme. En l'état les fusillades contrastent avec les cinématiques autant sur le plan narratif que du résultat à l'écran, et font d'Uncharted 3 un jeu-film plus mauvais que s'il avait été seulement l'un ou l'autre.

A moins donc, de le jouer en très facile.