Les RPGs sont-ils des RPGs ?

Dans les RPGs japonais ou US, je n'ai jamais eu l'impression de jouer un rôle. Dans Final Fantasy Tactics, mon jeu préféré, je peux personnaliser mes personnages, changer leur allure grâce aux jobs, et leur donner les compétences que je souhaite. Mais je ne me sens pas dans le jeu, je gère une équipe comme on peut le faire dans une partie d'échecs, ou de Warhammer (le jeu de plateau). Pour Mass Effect, modifier l'allure du héros et choisir ses dialogues ne m'impliquent pas davantage, je dirai même qu'au contraire, ça introduit une distance supplémentaire entre moi et le jeu, vu qu'à la base, peu importe mes choix, Shepard reste Shepard, et choisir à sa place annule le personnage. Tout au plus mon pouvoir réside dans la possibilité de modifier tel ou tel paramètre du scénario, et de sa personnalité, à lui. Ce n'est pas mon histoire, ce n'est pas moi non plus, et les scènes sont écrites d'avance, moi je peux juste avoir une influence. De ce point de vue je trouve d'ailleurs qu'une histoire imposée façon Final Fantasy vaut mieux qu'une histoire où on choisit les dialogues.

Qu'est-ce qu'un RPG ?

En fait un RPG dans l'absolu, ça ne veut pas dire grand-chose, c'est tout au plus un moyen de catégoriser un genre de jeux. Le genre lui-même comprenant des variantes, on invente de nouveaux noms ; action RPG, J-RPG, W-RPG et même avec Deus Ex le FPS-RPG. Pour peu qu'un jeu classique permette d'upgrader ses armes ou des compétences, on dira de lui qu'il a des éléments de RPG, comme pour Resident Evil 4. Aujourd'hui on ne le dit plus beaucoup d'ailleurs car c'est devenu monnaie courante. Je pense que personne n'a dit de Far Cry 3 qu'il a un aspect RPG, grâce à l'XP gagnée chaque fois qu'on tue quelqu'un. Dans Deus Ex Human Revolution, on a un système qui est plus poussée que dans Crysis 2, mais qui fonctionne sur le même principe ; plus on avance dans le jeu, plus on engrange de l'XP, en conséquence de quoi on débloque des pouvoirs. Pourtant Crysis 2 n'est pas, je pense, considéré comme ayant des éléments de RPG.

Si on pousse le débat, certains diraient, à tort ou à raison, que Grand Theft Auto ou Red Dead Redemption sont des RPGs aussi, on joue la vie d'un gangster, ou d'un cowboy, avec un panel assez large et varié de leurs activités, la plupart laissées à la discrétion du joueur. Mais quand nous sentons-nous vraiment dans le jeu ? Quand avons-nous vraiment l'impression d'être le personnage ? Personnellement, iI existe çà et là des jeux dans lesquels je me suis senti dedans à divers moments, et qui n'ont rien à voir avec des jeux de rôle tels qu'on les connaît.

Crysis 2

Dans Crysis 2 qui est un FPS, on nous refait le coup du héros muet dont on ne verra jamais le visage. Très vite on va se retrouver avec une combinaison qui recouvrira notre tête, et la seule fois dans le jeu (je ne l'ai pas fini) où j'ai vu mon personnage à la troisième personne, c'est lors de l'intro ; on vient d'enfiler la combi, et on voit le héros faire des cascades spectaculaires. Le reste du temps nous sommes toujours dans Alcatraz, le héros, nous voyons tout de son point de vue.

Donc le héros, ce n'est pas nous, c'est Alcatraz. Seulement pendant une bonne partie du jeu, tout le monde le prend pour l'ancien propriétaire de la combinaison, à savoir Prophet. Si bien que j'ai fini par complètement oublier que le héros existait. En dehors du fait que le mutisme de notre héros n'est pas justifié, et que le malentendu sur son identité est un ressort un peu facile, ça a bien fonctionné sur moi. Contrairement à Killzone 2 ou 3 où je joue un personnage identifié, dans Crysis 2 j'ai eu l'impression de vivre mon aventure. Alors les objectifs étaient imposés, évidemment, je ne savais pas non plus pourquoi je faisais confiance au gars qui me parlait dans l'oreillette, mais tout voir avec une vision imposée à la première personne, cinématiques comprises, m'a aidé à m'approprier le jeu. Rajoutons à cela un système d'upgrade immersif. Pour upgrader ses pouvoirs, le héros lève la main gauche face à l'écran, et on choisit le doigt qui contient le pouvoir qui nous intéresse, un peu comme si on comptait sur ses doigts.

L'implication fonctionne encore mieux lorsqu'on rencontre notre guide qui voit bien qu'on n'est pas Prophet. De plus, la combinaison dégradant le physique du porteur, ce sont les PNJs qui déterminent, par leurs réactions, à quoi je ressemble. Ainsi mon enveloppe corporelle réelle n'a plus d'importance, elle est virtuellement redéfinie et suggérée par nos rencontres et les réactions qu'elles engendrent.

Après l'implication s'écroule. On retrouve nos potes Marines qui savent qu'on est Alcatraz, et là on se retrouve à manipuler un personnage insipide et sans identité. Si le jeu avait jusqu'au bout jouer la carte du "joueur qui est le héros", en omettant de nommer le personnage par exemple, ou grâce à un logiciel de reconnaissance phonétique qui aurait permis de donner son prénom et de s'entendre ainsi appeler personnellement, ça aurait fonctionné sur moi jusqu'au bout.

En somme Crysis 2 ne m'a laissé aucun choix, si ce n'est celui de l'approche discrète ou bourrine. Le jeu est balisé d'objectifs obligatoires, je n'ai aucune influence sur les cinématiques. Mais tout voir à travers les yeux d'un personnage anonyme qui n'existe pas et qui ne parle pas, qui fait ce qu'on lui dit de faire, même si la solution n'est pas idéale, elle m'a fait me sentir presque physiquement dans le jeu, comme si j'y participais directement. Dans une aventure imposée, certes. Mais jouer un rôle, est-ce forcément nécessaire de le jouer librement ?

Fight Night Round 2 et 3

Dans ces deux jeux de boxe, un moteur de création de personnage permet de faire relativement ce qu'on veut pour peu qu'on reste dans les limites de l'humain. La modélisation des visages est aisée. Personnellement j'aime sans aimer cet aspect de personnalisation, je peux m'y perdre des heures sans ressentir de réelle satisfaction. Lorsque je jouais à Mass Effect 2, j'avais hâte de changer la face du héros pour voir ma création interagir dans les cinématiques. Dans Saints Row The Third, je passais mon temps à le faire et le scénario n'avait plus aucun sens.

Sauf que dans FNR 2 et 3, on peut modeler le visage, mais aussi le corps, la taille, le gabarit, le poids et la musculature (qui nous avantage d'ailleurs). Donc je me représentais, j'avais tous les outils nécessaire pour le faire. J'avais mon avatar, à mon image, plutôt fidèle d'ailleurs, sur le ring. Je pouvais me voir dans le coin du soigneur avec des yeux au beurre noir et des coupures. Lors des entraînement, le physique de mon avatar changeait, prenant du muscle ou perdant du poids selon l'exercice choisi. Ça paraîtra peut-être égocentrique, mais je ne me lassais pas de moi, là où jouer Rocky Balboa, c'est rigolo et après on s'en fout, tout comme dans Soul Calibur on peut passer des heures à faire du cosplay, et on en passe beaucoup moins à jouer avec nos Kratos et Sephiroth. Je ne me laissais pas car je jouais ma carrière virtuelle de boxeur, ça avait du sens, c'est assez amusant, et ça me suffisait. Ma copine encourageant toujours l'adversaire, ça donnait une grosse touche de fun à un jeu qui de base cherche à être plutôt réaliste.

Dans Fight Night Round 4 et Champion, les visages sont imposés parmi un vaste choix, mais rien de vraiment convaincant. Il faut posséder une web-cam si on veut coller sa photo sur la tronche d'un boxeur, et je n'en ai pas. Le jeu a pour moi perdu de l'intérêt. Jouer un boxeur connu, ou inventé, je trouve ça largement moins rigolo, je ne me sentais plus dedans.

Conclusion

Je pense que pour qu'on se sente impliqué personnellement dans un jeu, en tout cas pour moi, il faut soit un personnage totalement inexistant dont on n'emprunte le corps façon FPS en voyant tout de son point de vue, soit un personnage que nous pouvons créer de façon à ce qu'il nous ressemble ou encore nous convienne (Dragon's Dogma a l'air très bien de ce côté-là). Dans Crysis 2, l'histoire imposée ne m'a pas dérangé, en dehors du mutisme non justifié du héros ; on vit l'histoire d'un autre mais d'une façon qui fait qu'on se l'approprie, je trouve. On devient ce type dans sa combinaison cheatée. Dans d'autres FPS, j'incarne juste un flingue qui appartient à un autre gars que je vois de temps en temps, sans toujours savoir si c'est lui que je joue ou non.

Si je devais jouer mon avatar à la troisième personne, au contraire je pense que l'histoire ne devrait être que suggérée, comme dans les jeux de sports. Je fais ce que je veux, je remplis les missions que je veux, mais je ne participe pas à une rébellion quelconque scénarisée, je ne suis pas un messie où ce genre de conneries. Un mercenaire, un aventurier sur contrat, ok, et le joueur s'attache de lui-même aux personnages qu'il souhaite aider, à la cause qu'il veut défendre. Si je dois choisir des dialogues, mon avatar ne devrait pas parler, mais on entendrait juste les réponses de nos interlocuteurs. Il faudrait d'ailleurs que cela se limite à l'humeur de mon personnage, avec des phrases très courtes, pour qu'on puisse se les approprier, au lieu d'avoir le système actuel où le gars parle deux minutes de trucs qu'on est censé connaître vu qu'on est censé être lui, mais dont on ne sait rien, vu qu'on joue un personnage, et non soi-même.

 

Je pense que les joueurs prisant la vue intérieure dans Gran trurismo se sentent beaucoup plus dans le jeu (dans le sens "comme si on y était") que dans n'importe quel Mass Effect ou Final Fantasy. De même voir interagir son avatar dans un jeu de sport, qui, en dehors de ses capacités physiques, nous est fidèle, n'a pas son histoire fictionnelle à lui nous empêchant de le remplir de notre histoire virtuelle à nous. Avant de vouloir nous offrir la grosse liberté du RPG papier, ou de nous impliquer émotionnellement, la solution me semble de nous impliquer corporellement dans le RPG, ou du moins de nous en offrir la possibilité dans les jeux où l'on peut modifier l'apparence de notre avatar. Après libre à chacun de devenir vert, grand et costaud. Tout ce qui aide à s'approprier l'aventure fera naître l'émotion et l'implication.