Lorsque j'étais adolescent et que j'avais le droit de regarder un film le soir dans le salon avant d'aller me coucher, je savais que je souffrirais lorsqu'à la télévision était diffusé un vieux film de guerre chiant, de ceux avec par exemple Michael Caine quand ses cheveux étaient encore roux... C'était sûr, impossible d'y échapper ! mon père allait choisir CE film-là. Exodus. Un pont trop loin. Les canons de Navarrone. Ces titres m'ont traumatisé. C'était souvent plan-plan, avec une image années 60-70 sans éclat, des acteurs qui ne m'intéressaient pas du tout. En plus ces films duraient des heures... Quand il n'y avait pas de film de guerre, et qu'un autre m'intéressait genre Conan le Barbare, mon père disait "Ça a l'air con" les yeux mi-clos. Évidemment, il ne comprenait rien ! Il était borné, ne saisissant pas du tout de quoi ça parlait... jusqu'à ce que moi aussi un jour, en voyant par exemple la bande-annonce du film Thor, je me dise la même chose "Ça a l'air con quand même...", et que devant The Dark Knight, que j'apprécie, j'ai également comme un frisson de honte.

Ma génération, celle de Récré A2 et du Club Dorothée, de Musclor et des Chevaliers du Zodiaque, c'est la génération qui ne parvient pas à sortir de l'enfance. Pas tout le monde évidemment, mais c'est assez généralisé. Et d'ailleurs c'est vrai également en Amérique du Nord pour ce que j'en ai vu, car aujourd'hui, les films de super-héros, ce n'est plus aux enfants qu'ils s'adressent. Aux alentours de la vingtaine, je suis allé avec des amis à un Glooby Boulga Night (pas sûr que ça s'écrive comme ça...). Peu enthousiaste au départ car j'avais déjà déchanté sur Internet en revoyant des extraits de vieux DA de mon enfance, j'ai un peu eu l'impression qu'on pourrait avoir dans une secte, une sorte d'incompréhension. Il y avait des trentenaiers et même des quarantenaires tout joyeux de revoir des génériques de DA pourris et un bonhomme déguisé en Casimir. Ce n'est pas tant le thème de la soirée qui me dérangeait, car au fond c'est rigolo de revoir ces trucs-là en groupe, c'est l'ambiance, comme si personne n'avait grandi.

Pareil avec les figurines. J'en ai eu, puis un jour j'ai tout bazardé. Par contre j'ai des amis qui, même en appartement, marié, avec enfants, ont un petit spiderman dans le salon, ou des figurines des Chevaliers du Zodiaque dans une vitrine. Je peux me tromper, mais je crois que la génération d'avant finissait un jour par ranger les joujous dans un carton au grenier, pour les ressortir plus tard pour les enfants. Notre génération les expose. Certains moins que d'autres car leur femme ne veut rien savoir, et là le mari droit à son petit musée personnel dans une pièce minuscule. Ça me met mal à l'aise.

Est-ce dû à une génération gavée aux dessins animés, et aux jeux vidéo ? Je joue en ce moment à Super Mario Sunshine, et à l'époque de sa sortie je n'avais pas vu à quel point ce jeu, visuellement, s'adresse d'abord aux enfants en très bas âge. L'univers de Mario Bros, c'est celui du Petit Ours Brun ou des Télétubbies. On ramasse des pièces, on évolue dans des décors colorés peuplés de personnages rigolos. Si ce n'est un gameplay qui s'adresse à des joueurs confirmés, le reste fait penser à ces jouets qu'on accroche au-dessus du berceau de bébé. Y'a des couleurs, ça fait du bruit, c'est rigolo.

Adolescent, j'avais déjà un pied dans l'âge adulte. Comme j'aimais Clint Eastwood pour les films où il tabasse tout le monde en compagnie d'un orang-outan, je m'intéressais également à ses autres films. Certains me semblaient chiants, d'autres me fascinaient même si, je m'en rends compte aujourd'hui, je n'y comprenais pas grand-chose. Pareil avec Harrison Ford. Les acteurs qui évoluaient à la fois dans le divertissement et le film plus sérieux m'ont comme ouvert doucement la porte du cinéma pour les grands.

Mais ma génération a été bombardée par des oeuvres qui nous attachent à l'enfance. C'est l'explosion du jeu vidéo avec la PS1 puis la 2, l'explosion des mangas et des animés japonais, on trouvait aussi beaucoup plus facilement qu'avant des boutiques spécialisées dans le comics. Comme tout le monde, j'ai eu une période où je me disais que les mangas "C'est vachement mature, Gunnm !" Là où les adultes d'avant retombent dans l'enfance à l'occasion, comme on a pu l'observer avec le phénomène Harry Potter, nous, nous sommes limite englués dedans. En contrepartie, on reste jeune plus longtemps, mais pas forcément jeune de la bonne manière.

Le jeu vidéo souffre et participe à cette stagnation dans l'adolescence ingrate. Nos jeux les plus adultes, ou que nous considérons comme tels, sont souvent assez risibles. Silent Hill 2, son doublage ressemble à un cours d'anglais pour les collégiens, sa mise en scène est molle, le jeu d'acteurs lors des CG pas beaucoup mieux qu'un soap-opera. On le voit pourtant comme un des meilleurs jeux vidéo qui soit. Metal Gear Solid, une catastrophe scénaristique, une narration imbuvable. Grand Theft Auto 4 ou Red Dead Redemption, un festival du cliché, de l'immaturité et de l'incohérence. Comme nous, les devs nourris à la sous-culture n'ont pas les outils intellectuels nécessaires pour faire du meilleur jeu vidéo. L'ambition et l'envie sont là, on les sent dans la part toujours plus grande de la narration, mais le résultat, à part de très rares fois, reste au mieux maladroit, au pire affligeant.

Internet ne nous aide pas beaucoup non plus. Si les bases de données permettent des recherches faciles sur des sujets qui nous intéressent, ses sites de téléchargement nous offrent le fast-food culturel gratuit, et à volonté. Plus besoin de choisir, on peut consommer indistinctement du bon comme du mauvais film, passer de Murnau à Transformers. Il y a tellement à voir qu'on devient des touristes. Je n'ose même pas imaginer d'ailleurs comment les nouvelles générations découvrent le sexe, et comment cela façonne leurs rapports amoureux.

Si je suis parfois nostalgique de mon enfance, c'est parce qu'à cette époque, les adultes étaient habillés... en adultes, et que leur monde n'était pas le mien. Ils faisaient des choses d'adultes, que je pouvais trouver chiantes parfois, fascinantes d'autres fois, et auxquelles j'avais rarement accès. Mais quand je pouvais, quel privilège ! C'est peut-être aussi parce que les films pour enfants des années 80 étaient certes moins nombreux, mais bien mieux faits et surtout pas débiles comme aujourd'hui. J'aime bien l'idée du père qui souffre devant un film pour enfants au cinéma, pour faire plaisir ses gnomes. J'aime aussi l'idée de comprendre ce que mon père voyait dans Exodus, ou Un Pont Trop loin, par finir par le voir, moi aussi, à ma façon. C'est un modèle, c'est la prochaine étape à franchir. Pour le jeu vidéo, les DA ou certains films, notre monde d'adultes aujourd'hui, c'est déjà moins flagrant. Même des niards de douze ans peuvent trouver Metal Gear Solid, Grand Theft Auto ou The Dark Knight formidables, et probablement parce qu'ils ne le sont pas tant que ça.

 

Ceci était un message du vieux con blasé B)