Car c'est bien connu, le vampire, ça se chasse au fouet. Quelle arme plus appropriée, en effet, pour anéantir des créatures qui ne craignent que les trucs pointus dans le cœur ? Les pieux ? Bah. C'est pour amuser les touristes, ça.

 

Par contre, que les intéressés veillent bien à préciser que par vampire, ils n'entendent pas « jeune éphèbe dont le corps brille au soleil », parce que ça risque d'entretenir la confusion. Qu'on se le tienne pour dit, oui, il fut un temps où les vampires ne ressemblaient pas à des animateurs du Disney Club sur le retour, où ils ne portaient pas leur poids en laque dans les cheveux (tu m'étonnes qu'ils brillent au soleil) et où ils ne se consumaient pas d'amour pour la première-lycéenne-capable-d'écrire-son-prénom-sans-faute-venue, mais bien suite à de malencontreuses expositions à la lumière du jour.

 Un temps où ils étaient encore capables d'avoir 10 de moyenne, de passer en première et même de réussir au bac. Où ils préféraient les châteaux hantés aux lycées de province. Où ils n'économisaient pas deux siècles pour s'acheter des jeans Hugo Boss.

Un temps - et ça va peut-être choquer les plus jeunes - où ils buvaient du sang humain, pas en bouteilles, pas en gélules, pas en substituts de synthèse, mais comme dans le commerce équitable, directement du producteur au consommateur.

 Un temps où le bonheur, c'était simple comme un coup de canines, avant que les humains n'inventent les Mac Donald, le maïs transgénique et le sexe sans protection, et que leur sang se mette à rejouer Il était Une Fois la Vie en version « Shaun of the Dead »...

 

En ces temps-là, oui, les vampires, ils avaient les crocs, et ils mordaient la vie (des autres) à pleines dents ! En leur présence, les midinettes tremblaient d'horreur, pas de désir, tandis que le père Dracula repeignait tout en rouge et pas en eau-de-rose. Il n'était pas encore le gendre idéal de toutes les belles-mères nymphomanes, ni une star de comédie (soi-disant) musicale dédiées aux victimes de la Star Academy, mais un bad boy monomaniaque abonné aux défaites autant qu'aux chiffres ronds : les retours sur terre, pour lui, ce sera tous les cent ans, pas un de plus, pas un de moins, merci. 'Nuff said !

 

 En face, notre seul espoir : les Belmont, célèbre clan de chasseurs de vampires de pères en fils en cousins en amis d'enfance en familles rivales en adversaires repentis en réincarnations de Dracula lui-même en membres de secte religieuse un peu louches (amen).

 

Et tous les cent ans, rebelotte et dix de der, c'est la même série B : le château dudit Dracula pousse comme un champignon magique, un Belmont (ou franchisé) reprend la petite entreprise familiale, ajuste sa tunique vintage et repart sur un coup de sang, prêt à en découdre avec les squelettes masochistes lanceurs de fémurs, les zombies à-à-à-à-la queue-leu-leu, les armures qui jouent à hache-hache (copyright : « Blague du Siècle Magazine », all rights reserved), les essaims de têtes de méduses volantes, les hommes-poissons-z'y-va-qui-crachent-par-terre et autres bossus aéroportés par des serres d'aigles géants (excusez du peu), bien décidé à napalmer ses cibles au vin de messe, ravager la déco à la recherche de crucifix à lancer en boomerang, dégringoler dans des trous sans fond ou se faire empaler au premier piège venu (à charge de revanche, dans cette profession).

 C'était dans son profil de poste et ça marchait du feu de dieu de l'eau bénite.

 

Enfin ça, c'était avant le drame.

 Ou plus explicitement : avant que la licence s'EdwardCullenise et commence à avoir la jaquette qui brille au soleil.

 

Fini, dès lors, le parcours du combattant en apnée et le respect des traditions... Désormais, le château du prince des ténèbres réapparait tous les deux ans pour « vice de forme prophétique » et se visite comme le pavillon témoin d'un village de vacances : votre plan du cadastre à la main, vous ferez l'état des lieux pièce par pièce, sanctionnerez tout défaut de conception ou tout dégât des eaux, irez jusqu'à explorer en personne les canalisations pour voir « d'où vient l'odeur », avant de faire comme dans les Maçons du Cœur et de tout casser.

 

Pas de regrets, l'édifice est branlant : de toute évidence, l'architecte a eu son brevet par correspondance, ou bien c'est un Belmont « parti à la ville pour avoir un vrai métier respectable et pas faire le gros macho transformiste à perruque rose comme papa dans Castlevania Chronicles sur PS1 » (c'est qu'il y a bien des façons, de lutter contre les forces du mal).

 En tout cas, une chose est certaine : il veut la perte de son commanditaire, car au cas où la pesanteur n'aurait pas raison du seigneur vampire (en faisant s'effondrer son antre sur le coin de sa tronche au moindre début de brise), il a pris soin d'y affecter les monstres par niveau d'expérience croissant, d'y inclure de quoi franchir les passages infranchissables (alors qu'il aurait suffit d'un mur lisse de trente mètres de haut à l'entrée, gardé par un Golem niveau 50, pour régler cent ans de problème d'un coup), d'ajouter des points de sauvegarde tous les trente mètres, de cacher des bibles, des croix et des reliques sacrées dans les luminaires, et de clouer des panneaux clignotants « attention au boss ! » sur chaque porte concernée (si ce n'est pas du travail de sape, ça, qu'est-ce que c'est ?).

 

C'est dire s'il doit être chiche en pourliches, le père Dracula, pour que ses hommes de mains fassent ainsi le jeu de son adversaire. Le voilà bien puni : il ne se réveille qu'une fois par siècle (du moins, en théorie), pour découvrir que toutes les pièces ont ENCORE UNE FOIS changé de place, que sa buanderie est au niveau des douves et sa kitchenette, elle, dans les gradins du colisée (oui, parce qu'il a aussi un colisée privé, même si aux dernières nouvelles, il n'était pas au courant et n'en avait rien à cirer) (« non mais qu'est-ce que vous voulez que je foute avec un colisée ? ! », déclare-t-il à ce sujet, dans son ouvrage intitulé « Pourquoi j'ai changé de métier »). Sans compter que s'il veut partir à la conquête du monde, c'est minimum dix heures en ligne droite pour sortir de chez lui (sans GPS ni borne Wifi pour se connecter à Mappy, ce qui complique encore les choses).

 

Qui plus est, en termes d'entretien, quatre kilomètres carrés pour une personne seule, c'est un peu la galère : heureusement que les femmes de ménage, on en dénombre des dizaines dans le bestiaire, prêtes à vous poursuivre sur cent mètres avec leur aspirateur démoniaque et à vous dépoussiérer le portrait - of ruin - (et non, ne riez pas, c'est véridique) (oui. Je sais. No comment). On n'est même plus bien chez soi, rendez-vous compte ! Il y en a par-tout : et que ça rampe, et que ça grouille,  et que ça vole, et que ça danse dans l'air, et que ça se bouscule, et que ça piaille, et que ça pleure, et que ça ricane, et que ça se grimpe dessus à toute heure du jour et de la nuit...

 Croustlevania, on devrait appeler ça, d'ailleurs, tellement ça ressemble à une cité U.

 Du coup, la question qu'on se pose n'est plus « comment vont-ils réveiller Dracula, cette fois ? » mais « comment fait-il pour arriver à dormir avec ce bazar ? ».

 Mais quelle idée, aussi, de ramener du travail à la maison.... surtout avec des subalternes aussi envahissants, toujours prêts à squatter et à rameuter leurs copains. C'est qu'il faut les comprendre, les subalternes : ils doivent bien s'ennuyer, à tourner comme des âmes en peine (qu'ils sont) dans leur pauvre section de château en attendant (peut-être) de pouvoir cracher une boule de feu sur LE Belmont du moment. Grand frisson assuré (et coup de fouet-retour assuré aussi : une expérience brève, mais intense).

 

Sauf que non, non, non, n'en déplaise aux nouvelles générations, Castlevania, ce n'est pas ça !

 

Castlevania, c'est marcher en ligne droite sans décoller les pieds du sol, faire du moonwalk dans les escaliers, souffrir de troubles obsessionnels compulsifs qui vous obligent à sauter vers l'arrière dès que vous êtes ne serait-ce qu'effleuré par un corbeau (picoré à mort, la louze), sauter de plates-formes qui pivotent en plates formes qui s'effritent avec les pieds lestés par des chaussures en marbre (celles assorties au costume en saumon fumé), en évitant les lances qui tombent du ciel pendant que le sol enflammé s'élève et que les scies circulaires se rapprochent par la gauche, tout ça pour atterrir sur un engrenage géant, glisser, recevoir un os dans les gencives, sauter vers l'arrière et tomber dans le vide avec un hurlement désespéré. Avant de reprendre tout le stage à zéro.

 

Dans Castlevania, la route, on se la trace au fouet, pas à l'épée, pas à la hallebarde, pas au revolver, pas au pistolaser de l'espace (ne rigolez pas. Parti comme c'est, ça peut encore venir). Au FOUET ! Ce serait trop facile, sinon. Et ça, c'est bien parce que Cooking Mama a déjà réquisitionné le rouleau à pâtisserie, la bougresse !

Deux powers up (maxi), un misérable gigot toutes les quatre ou cinq poussées d'adrénaline (maxi), un One Up tous les 100000 points (mini), des game over qui tachent, et basta ! Il en faut peu pour être heureux, comme disait l'autre.

Pas besoin de ces doubles sauts, ces stocks de points de vie ou ces boissons énergisantes estampillés « le Jeu Vidéo pour les Nuls » (vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui sont capables de changer de trajectoire en plein bond, ou de descendre une canette de RedBull en esquivant une morning-star de douze mètres de diamètre ?), de scénario-prétexte qui insulte l'intelligence du joueur à trop vouloir coller à une chronologie schizophrène, de fils illégitime de Sephiroth et de Vampire Hunter D à + 10 en charisme parce qu'il a les cheveux longs et la même joie de vivre qu'Edward aux Mains d'Argent, de boulanger de Dracula renégat qui combat à coup de baguettes pur seigle (wé, bon, forgeron démoniaque, c'est pareil), de Light Yagami cosplayé en perso de Vagrant Story, non !

 Castlevania, c'est un bourrin mal habillé qui ne quitte les terres de sa ferme natale qu'une fois par siècle et qui ne voit pas trop pourquoi il se changerait pour l'occasion, un dur à cuire, un homme qui fouette, un musclor slave qui sent bon les cages à poulets et les tourtes aux lapins.

 

Castlevania, c'est aussi la testostérone, le stress de tous les instants, les gouffres sans fond, le pas-droit-à-l'erreur, les bonnes idées plein le décor, le hard rock 8 bits, Vampire Killer, Bloody Tears, Wicked Child ou Simon's Theme dans les oreilles à fond le transistor, pas de la techno somnolente ou du  Dany Brillant (à 0'33)  Jean-Jaques-Goldmanisé (à 1'50) (Allez, Karaoké pour tout le monde !  « Quand je vois ses yeux, j'en appelle à Dieu, quand je vois ses dents, je pars en courant » Simon Belmont, Greatests Hits).

 

Parce que si on va par là, c'est la porte ouverte à toutes les dérives, et ce n'est pas parce qu'on aime le cuir et les fouets qu'on est de toutes les perversions !

Non, on ne veut pas de Kratos of Persia Creed May Cry of the Darkness, ni de Soulcalibur Duodecim Tag Tournament of Innocence, ni de Tetris of Dissonance of the Night, ni de Machines à Sous of Sorrow of Ruins !

Et pourtant, on les a quand même.

 

Oh Dracula, mais qu'ont-ils fait de toi ?

 

Ils t'ont limé les dents, ils t'ont coupé les griffes, ils t'ont apprivoisé et collé dans une Pokéball ! 

Ton Castlevania n'est plus qu'une sorte de grand Disneyland gothique pour mannequins ténébreux en mal de sensations, une formalité administrative cosmique, toujours le même tiercé joué dans le désordre.

Et la surprise, dans tout ça ? Et l'imprévu ? Et l'aventure ? Et le frisson ?

 

Pourquoi, alors, faut-il que je rempile à chaque nouvel opus, que j'y joue sans dégoût (et même avec plaisir), que j'achète chaque nouvelle bande son pour l'écouter en boucle, que je trippe sur chaque nouvel androgyne d'Ayami Kojima, ou encore que je rêve d'une version 3DS ?

Pourquoiiiii ?

Suis-je donc si faible, que je ne puis résister à la tentation ? Si corrompu que je trahisse jusqu'à mes convictions les plus profondes, ou que je vende ma fanitude contre un peu de fun immédiat ? Ai-je été ensorcelé ? Mordu, peut-être ? C'est ça ? Je suis un mordu de Castlevania, alors je le mords ici à mon tour ? Trevor, Simon, à moi ! Sauvez-moi, fouettez-moi, faites-moi mal ! Je ne veux pas me mettre à briller au soleil, ni faire les sorties de lycée, ni m'enticher d'une petite copine dont je pourrais faire les cahiers de vacances !

Vade Retro, bombonnes de laque !

Vade Retro, jeans Hugo Boss !

 

Je tiens à rester cuir & fouet dans l'âme.

 

 

Et tant pis pour le qu'en-dira-t'on.