En septembre dernier se tenait le concert Video Games Live à la porte de Versailles. Un véritable moment de ferveur pour plusieurs générations de joueurs, rassemblés pour partager leur amour pour la musique de jeux vidéo. Quel spectacle que de voir les sourires se dessiner en cascades dès les premières notes des thèmes tant attendus. On a même pu voir ici ou là une petite larme, un regard embué par l'émotion et la nostalgie.
Pas de doute, le VGL a apporté une pierre supplémentaire à l'édifice de la culture gamer.

En quittant la porte de Versailles, un peu estomaqué par une telle communion, je me posais ces questions existentielles :

"Pourquoi est-ce que les larmes me sont venues lorsque l'orchestre a entonné la chevauchée fantastique de the Legend of Zelda ? Comment quelques notes ont-elles pu finir marquées au fer rouge dans mon esprit ? Quelles sont ces recettes qui font que cinq, dix, ou quinze ans après, ma mémoire auditive de gamer est ce qu'elle est ?"

Décryptons ensemble nos ambiances sonores préférées. Pour ce faire, il nous faut d'abord séparer les effets sonores de la musique. En faisant se recouper des références célèbres, l'on pourra alors repérer les grandes familles d'illustrations sonores. J'agrémenterai mon propos de grands classiques issus de mon humble mémoire de joueur. Here we go !

1. DE LA RÉPÉTITION NAÎT LA LUMIÈRE (ET L'AVIDITÉ AUSSI)

"J'ai jamais pu retrouver mon alliance dans le tas." - Sonic le hérisson

Le highscore est l'objectif de gamer le plus ancestral. Que ce soit sur bornes d'arcade ou sur nos premières machines,  qui n'a pas commencé sa carrière de joueur en tentant d'accumuler un maximum de pièces d'or, d'anneaux, de pierres précieuses, de power-ups ou de fruits en tous genres ? Et les effets sonore associés à cette récolte ? Vous vous en souvenez comme si c'était hier bien entendu !

Super Mario (TouuDiiiiim), Sonic (Dwiing), Crash Bandicoot ("Oolebeugah !")... tant de bruitages dont on se souviendra éternellement, grâce à leur omniprésence tout au long de l'aventure.

Pour certains exemples, comme Sonic, la multiplication de l'effet sonore engendrait même un effet de bord : la course à la récolte parfaite. Je me souviens encore de tous ces efforts déployés au nom de la trajectoire idéale, gratifiée d'un Dwiingdwiingdwiingdwiing....Ma jubilation n'avait alors d'égal que le courroux de mes parents : "Baisses le son tout de suite, je suis à deux doigts de précipiter la télé par la fenêtre..."
Déjà entendu ça ?...

Certaines de ces petites virgules sonores sont devenues mythiques et intergénérationnelles. Si l'on diffusait le son si familier d'une pièce de Super Mario dans n'importe quel open-space de grande tour parisienne, que se passerait-il ? Je penche pour 95% de regards qui se lèvent, 80% de sourires nostalgiques et 40% de madeleines de Proust.

 

2. UN PEU D'AUTOCONGRATULATION

"Dites vous bien qu'à chaque fois que je sors un truc de ma poche, ça fait ce bruit là..."
- Link

Que serait la course aux objets sans la rétribution adéquate ? Ce moment glorieux ou le jeu lui même semble poser un genou à terre et saluer vos hauts faits. Il y à pour cela aussi des classiques inoubliables.
Un guerrier vêtu de vert ouvre difficilement un coffre, se penche à l'intérieur pour saisir son contenu, manque de tomber à la renverse. Dans un suspens certain, il brandit enfin la trouvaille tant convoitée :

La saga des Final Fantasy tire également son épingle du jeu dans ce domaine, avec sa désormais célèbre Victory Fanfare : chaque succès au combat est salué par les mêmes neuf notes légendaires, suivie d'une composition propre à chaque épisode de la série, ici Final Fantasy VIII :

Cliquez ici pour entendre toutes les versions de la Victory Fanfare.

3. L'HEURE DU GOÛTER

"Oui m'man ! Je sauvegarde et j'arrive !"

En plein règlement de compte avec Bowser et on sonne à la porte ? Qu'à cela ne tienne, les dieux du gaming ont prévu que nous ne serions jamais tranquilles. Une petite pression sur le bouton Start ?

Qui aurait cru que le son de l'action pause s'insinuerait si loin dans nos esprits ? Visiblement personne, car rares seront les développeurs à tenter de révolutionner le genre. Voici cependant quelques tentatives qui m'ont marqué à titre personnel :

Street Fighter 2 (culte) :                               

GoldenEye 64 (dans la montre de James) :

4. NO HABLA 8-BITS

"Kop kop kolop kèk !" - Ryu

C'est ainsi que l'on nomme le coup de pied circulaire de Ryu et Ken dans Street Fighter 2. Oui ma bonne dame. Les premières voix dans les jeux d'époque apportaient en réalisme, mais la faiblesse d'encodage combinée à la barrière de la langue aboutissaient à une bouillie difficilement intelligible pour nous autres petits français.
S'en sont suivies des adaptations approximatives entre camarades de classes, que bien malgré nous, nous ne pourrons jamais oublier : Ayouken (Hadoken), Tailleur papakat (Tiger Uppercut), Shalek fu (Sonic Boom)...

Contrairement à la musique, les effets sonores ne véhiculent que très peu d'émotions propres au jeu. Ils sont comme de petites miettes de madeleine, qui à l'oreille nous replongent dans une vie passée. Le bruit du champignon de Super Mario, c'est une époque, ce sont des personnes. C'est le bazar récurrent de notre chambre de pré-ados et l'odeur des tartines de Nutella. Ce sont les heures passées à user nos manettes avec des amis que l'on côtoie encore, ou que l'on a perdus de vue.
Mais quand l'immersion transcende la présence de l'écran, que l'on devient aventurier, espion ou champion d'arts martiaux, c'est la catégorie "reine" qui entre en jeu : la musique. Comme pour les bruitages, la musique a ses codes et ses points d'accroches qui lui permettent de s'installer durablement dans nos mémoires.

5. LE PREMIER COUP D'OEI... D'OREILLE !

"On a tourné ça en une après-midi avec mon assistant, du coup le tourisme est en plein boom depuis " - Andrew Ryan, fondateur de Rapture

L'introduction, cauchemar du game designer. Pendant des mois, son studio travaille d'arrache-pied à créer un univers unique. Une fois l'introduction dépassée, le joueur devra être complètement immergé dans l'ambiance. Une faute de goût à ce moment précis et c'est l'expérience de jeu toute entière qui pourra en pâtir. A l'inverse, un thème musical bien senti à ce même moment pourra ancrer ce premier contact dans le cerveau du joueur à jamais.
Les introductions les plus marquantes sont à ce titre souvent secondées par des partitions grandioses. Le rapport entre l'introduction et sa musique est complexe : l'un ne va pas sans l'autre, ils se magnifient mutuellement, dans un exercice d'équilibre délicat. C'est d'autant plus vrai lors de séquences d'introductions in-game, ou les images de synthèses ne sont pas présentes pour "embellir" le tout.

Voici des exemples qui, selon moi, illustrent cette interdépendance avec brio (à regarder sur Youtube) : Bioshock, FFVIII, WoW, MGS4

6. NEW GAME

"Tu voudrais pas relancer Age of Empires 2 ? C'est juste pour le fond sonore..."

Après l'introduction vient le sacro-saint menu. Son statut de passage obligé en fait un point d'accroche important pour nos mémoires de joueurs. De nos jours, le menu est amené avec discrétion et sans renforts de thèmes tonitruants, mais cela n'a pas toujours été le cas. Dans les années 80/90, c'était le terrain de jeu privilégié des développeurs de grandes sagas (Megaman) qui identifiaient leurs opus via des thèmes forts.

Hors de toutes ces conventions, il subsiste le thème intemporel des menus de la saga Zelda, minimaliste mais pourtant chargé d'ambiance et de souvenirs :

7. SAME OLD SONG AND DANCE

"Ach punaise, la B.O de Ghouls n' Ghosts, c'est quelque chose ! Enfin surtout le premier level, je pourrais me l'écouter en boucle..."

Les joueurs un tant soit peu anciens le savent : la difficulté des jeux est allée décroissante avec les années, alors qu'en parallèle les systèmes de sauvegarde se sont affinés.
Rien d'étonnant alors à ce que nos mémoires de gamer, au moment de faire le tri, ne retiennent à la perfection que le thème du premier niveau. C'était celui que l'on faisait et refaisait inlassablement, parceque l'on perdait son code de sauvegarde, ou parcequ'il n'existait aucun système de sauvegarde, mais aussi, et trop souvent... parceque l'on avait jamais ne serait ce qu'entrevu le niveau 2.

Là encore, un petit pot-pourri des level 1 que l'on n'oubliera jamais :

Super Mario 
Castlevania  
Sonic            

 

8. L'APPÂT DU GAIN

"Mais pourquoi ta vieille sauvegarde de FF IX affiche 230 heures de jeu ?
- Tu te souviens pas de Creuse Chocobo ? C'était une malédiction ce truc..."

Je pense que je ne suis pas le seul joueur à être très client de ce genre de séquences intégrées dans nos titres préférés. Passez deux heures à pêcher le plus gros poisson du lac Hylia, retourner la terre à dos de Chocobo, ou collectionner les cartes de Triple Triad, voilà exactement le genre de mini jeux dont nous nous souvenons longtemps après.
En abordant ces moments comme des soupapes de décompression par rapport à l'intrigue principale, les studios se permettent de les illustrer avec des thèmes loufoques, souvent diamétralement opposés à l'ambiance générale. Le contraste encourageant la mémorisation, ce sont souvent ces thèmes dont on se souvient longtemps après.

FF8 Triple Triad 
Mini-jeu Zelda    
Creuse chocobo


9. Y À TROP DE TENSIONS !

"J'ai arrêté de jouer à Dead Space après le premier alien. Non sérieusement, les crissements de violon, tout ça.. Je flippais trop..."

En cours de jeu, la musique agit comme un ensemble de repères d'immersion pour le joueur : l'époque, mais aussi le ton général, l'ambiance et les indications de danger. Via ce dernier repère, la musique peut insuffler un climat stressant qui modifie la manière dont le joueur aborde une séquence.
L'attention du joueur reste concentrée à 100% jusqu'à ce que la musique se fasse plus rassurante. L'exemple le plus répandu et l'intervention d'une musique dédiée lors de l'apparition d'ennemis dans les jeux d'action/aventure ou les RPG.
Au fur et à mesure que le joueur apprend à connaître le jeu, il s'habitue à la traduction sonore du danger. Il redoute même son apparition. C'est sur cette vague que surfent des sagas comme Metal Gear Solid, où chaque état d'alerte des gardes est accompagné musicalement, renforçant ainsi l'immersion du joueur.

Metal Gear Solid    
Okami                    
Final Fantasy VII    


10. GAMER EMOCION :

"Quoi ? T'as pas versé une larme à la fin ? Quand il lui rallume son cigare, avec la musique et tout ! Inoubliable !"

Nous arrivons enfin aux thèmes musicaux qui parlent directement à nos cœurs, ces petites étincelles qui nous on transportés loin, très loin de nos écrans.
C'est de loin la catégorie qui a le plus profité du rapprochement d'idées entre jeu vidéo et cinéma : au fur et mesure que les scénarios se sont étoffés et que les cutscenes se sont multipliées, nous autres gamers en avons pris plein les esgourdes.
La musique de jeu vidéo est devenue un art, avec ses influences (japon, occident), son lyrisme, sa poésie. De grands compositeurs issus du cinéma voient aujourd'hui dans le jeu vidéo un moyen d'exprimer leur sensibilité autrement, via un processus de composition moins linéaire. Qu'il s'agisse des thèmes de vilains mythiques (Sephiroth, si tu nous entends...), des twists de scénarios les plus tordus, de chevauchées hollywoodiennes ou simplement de quelques notes descendues sur un piano, chaque style trouve sa place dans la multitude d'univers qu'offre le jeu vidéo.

Cette dernière catégorie abordant les titres qui touchent personnellement, je ne publierai aucun exemple, enfermé que je suis dans ma propre sensibilité.

Ce "dossier" touche à sa fin. Je n'ai pas mené d'analyse cognitive, ni fait référence à des spécialistes. J'ai considéré la question vue de ma fenêtre. Et de ma fenêtre, je vois une culture en mouvement, des codes émergents, je me revois noyé parmi 5000 autres personnes, tous la larme à l'œil pour quelques notes en midi, et j'adore ça.
J'aime ce média, je m'émerveille tous les jours de sa puissance, de ses ressources et des sensations qu'il me procure. Mes plus beaux moments de joueur, je les ai vécus en musique ; une musique que je peux réécouter des années plus tard et qui me propulsera toujours avec autant de force à une autre époque, sur une autre planète, dans une autre aventure extraordinaire.

Et vous ? Quels sont vos meilleurs souvenirs de gamer pourvus d'oreilles ?...