Si Duke Nukem  Forever  a subit 14 ans de développement, il ne
restera qu'une dizaine d'heures dans la console des joueurs, le temps de rincer
la campagne solo, et de brièvement s'essayer au multi. Un rapport exagéré pour
un jeu au personnage abusement caricatural, au développement sur-prolixe mais
paradoxalement inachevé.

Beaucoup (dont moi) s'insurgeaient contre Polyphony Digital quand
ces derniers retardaient la sortie de Gran Turismo 5 tous les deux  jours. Cependant, face à DNF, le soft de
course n'a l'allure que d'un jeune padawan armé d'une misérable épée de bois. Le
King indétrônable des vaporware, le Seigneur incontestable des jeux dont la
date de sortie a été repoussée jusqu'à la moelle, le champion du changement
d'éditeurs et de moteurs croulé sous les récompenses  bien avant de tourner dans nos consoles. En
2000 déjà (!!!), le FPS se voit décerné la médaille d'argent par Wired en atteignant
la seconde marche du podium des vaporware. Aujourd'hui, notre Duke se traine
une brouette de distinctions peu glorieuses.

Parait-il qu'on tourne en rond dans le désert? Il
n'empêche que le blondinet ne s'est pas seulement amuser à imiter la mine d'un compas.

Avant d'arriver à son point Omega, Duke, véritable Phileas Fogg vidéoludique, se voit revenir plusieurs
fois sur la ligne de départ. En 1997, le studio 3D Realms amorce le
développement du soft sur le moteur de Quake II. A l'époque, ce moteur est sur
le déclin. Ainsi, en 1998, Epic Games met au point l'irréel Unreal Engine. Les
téméraires développeurs de DNF, conquis, décident de repartir de zéro afin de
taffer sur ce tout nouveau bijou technologique. Cette année 1998 sonne le début
d'un développement chaotique. 

Les groupies de Duke ne contiennent plus leur
frénétique impatience et veulent des informations sur la sortie de DNF. 3D
Realms envoie aussitôt du lourd via le site officiel du soft :

"When it's done" ("Le jeu sortira quand
il sera fini")

"Ok les gars, rassurez moi quand même, vous avez
déjà entendu parler de Duke Nukem Forever?"

Un an plus tard, l'éditeur, GT Interactive, jette
l'éponge et transmet le flambeau à GoD. Néanmoins, la flamme est toujours
présente. 

GoD communique peu et, depuis belle lurette, les joueurs s'inquiètent sur le réel avancement du projet. Le second éditeur ne sera guère plus patient
que son prédécesseur. En 2001, GoD abandonne DNF. 

En 2002, alors que Take Two a repris l'édition du logiciel
fantôme avec de nouvelles ambitions (sortir une version Xbox 360), rebelote! La
bande de vices coquins que sont les salariés de 3D Realms récidivent. Le développement
du jeu recommencé 4 ans auparavant tombe en panne sèche et DFN est revu de
fond en comble. Le titre s'enfonce inlassablement dans les oubliettes et le
studio américain semble se concentrer davantage sur son autre vaporware, Prey,
projet démarré lui aussi en 1997 (pour, finalement, sortir en 2006). 

 

Les fans sont furieux, ainsi, 3D Realms, phénomène de ponctualité, joue la
carte de l'humour et annonce sereinement dans un post laconique : 

« And yes, we know the
game has taken a long time. There's no possible joke you could make about the
game's development time that we haven't already heard.
 » 

Traduction à la lettre : 

"Oui, nous avons conscience que le développement
du jeu s'éternise. Il n'y a aucune plaisanterie que vous puissiez faire au
sujet de la durée du développement du jeu que nous n'ayons pas déjà
entendue." 

Mais attendez, je vois des inscriptions entre les
lignes : 

"C'est bon les mecs là, vous êtes relous.
Continuez à vous foutre de nos gueules, vous ne payez rien pour attendre, la
vengeance est un plat qui se mange froid"

Il se trouve que le plat, on l'a carrément consommé périmé.

Mais le clone capillaire de Guile n'a pas dit son dernier mot. Après deux
ans de dure glandouille, on apprend que la réalisation du soft se poursuit tant
bien que mal sur un nouveau moteur physique, inconnu au bataillon, le Meqon.

De son côté, Take Two n'a pas spécialement envie de faire
de l'humour. Entre 2001 et 2009, l'éditeur injectera la somme 12 millions d'euros
dans la réalisation de DNF sans pour autant avoir la certitude que le titre
sortira. Ni une ni deux, Take Two colle Apogee Software (fondateur de 3D
Realms) devant les tribunaux en leur reprochant, grosso modo, leur
incapacité à respecter le contrat.

Entre temps, une rumeur cours comme quoi le
développeur compte mettre la clé sous le paillasson. Sans tarder, l'intéressé
dément mais affirme ne plus s'occuper du développement de DNF. Dans cette
affaire abracadabrante, 3D Realms ne perd, toutefois, pas tout. En 2010, le
juge donne tort à Take Two. Très vite après, le troisième éditeur claque, définitivement, la
porte.

A ce moment-là, on est tenté de se dire qu'il faudrait
un coup de théâtre improbable pour qu'un jour DNF sorte du désert.

Ce fameux coup de théâtre se produira avec
deux bons acteurs du moment, 2k Game dans le rôle de l'éditeur et Gearbox dans
celui du développeur. Les deux protagonistes récupèrent ce qui de loin
ressemble à un FPS. Vite fait. Un titre raccommodé, rafistolé, par des
bricoleurs du dimanche. Le genre de bricoleurs qui pose son carrelage
directement sur la moquette miteuse ou qui peint son mur sans enlever la
tapisserie qui se décolle.

Pour autant, hors de question pour Gearbox
de se retaper intégralement le développement de DNF. Le but est d'envoyer au
plus vite le Duke remplir les linéaires des magasins. Le studio va maquiller le
soft à coup de techniques cosmétiques pour, autant que faire se
peut,  épargner nos rétines.Nonobstant des
fondations ultra-bancales, le fumiciel fonctionne, on ne sait par quel
miracle, mais il fonctionne.

En 2011, le 10 juin très exactement, Duke Nukem
Forever trouve sa place dans les rayons. La presse vidéoludique peut désormais décharger
le dégout accumulé pendant près de 15 longues années. Criblé de notes piteuses et bradé
dès sa sortie, ce fruit de la science exact (comme dirait Victor Hugo), s'avèrera
être, au final, une mauvaise blague exceptionnelle. Car si les GT5, Alan Wake
et consorts ont tardé à se pointer, il se trouvait que ces derniers étaient,
dans les grandes lignes (graphismes, gameplay, scénario, multi), globalement terminés lors de leur sortie. DNF, quant à lui, s'apparente à un titre développé à l'arrache en un an. Un unique comble quand on connait la phrase qu'afficher l'écran final de Duke Nukem 3D, tenez vous bien :

« Look for a Duke Nukem 3D sequel soon »" ("Attendez-vous à une suite de Duke Nukem 3D bientôt")