Il n'est cependant pas exempt de défauts,
pour la plupart dus à des impératifs commerciaux diluant l'essence du
titre mais qui peut savoir ce qu'aurait donné
Nomad Soul sans ces "compromis". Un chef-d'œuvre ? Nous en sommes proches.

The Nomad Soul est un
des tous premiers jeux d'aventure 3D à la jouabilité dite "Bac à sable", terme aujourd'hui à la mode où le jeu vidéo entre dans un
âge où la liberté d'action devient une composante de plus en plus
développée dans le gameplay. Ceci étant, l'illusion est là car ce titre
obéit encore aux règles récurrentes d'un jeu d'aventure classique :
scénario scripté et linéaire, résolution d'énigmes permettant le passage à l'étape suivante, phases d'actions plutôt basiques, ces points ne
sont cependant pas tous négatifs, ils permettent de ne pas abandonner le joueur à son sort. Surtout, ce dernier se verra tout expliquer au début de l'aventure ; la prise en main est donc rapide, même pour le
débutant.

Ce qui est plutôt raccord avec les jeux suivants du studio (Farenheit et Heavy Rain), un gameplay facile d'accès couplé à une direction artistique poussée.

SF new age

Mais venons-en à ce qui fait la personnalité de The Nomad Soul, son contexte pour commencer. Kayl est le premier personnage que l'on
rencontre, il nous propose de projeter notre âme dans son univers, la
ville d'Omikron, en utilisant son corps comme enveloppe physique. Nous voilà alors transportés dans un monde totalitaire ou la pensée unique a envahi (presque) tous les esprits, une variante du Meilleur des mondes sur fond de contrôle de la pensée et de résignation à changer le cours des événements. Kayl est un flic chargé d'enquêter sur de mystérieux meurtres commis
par des êtres étranges, ce qui semble gêner le pouvoir en place. Le
décor posé, c'est surtout sa représentation qui nous capte en premier.
La ville d'Omikron est une cité futuriste à l'architecture variée mais
oppressante, surtout dans le premier quartier où l'aventure débute. De
vastes blocs sombres et opaques nous donnent la même impression que le
Los Angeles brumeux du film Blade Runner. Les nappes musicales renforcent le côté urbain déshumanisé de cet endroit. Cependant, l'aspect froid de l'univers se teintera d'un mysticisme new age qui se fera de
plus en plus présent au fil de l'aventure et qui flotte tout autour de
notre arrivée dans cette cité.

Richesse et limites

Les ambitions de The Nomad Soul se rapprochent de Shenmue ou d'Outcast de par le travail effectué sur l'univers du jeu. L'immersion est sa
qualité première. On peut se balader dans à peu près tous les recoins de la cité d'Omikron, acheter des disques, des livres, de la nourriture,
discuter, on peut allez dans les bars écouter quelques morceaux live de
David Bowie, (spécial Guest Star du jeu qui prête également ses traits à l'un des personnages principaux de l'aventure), jouer les gros bras
dans un tournoi "underground" etc. Cet aspect est potentiellement le
plus riche, mais aussi l'un des plus longs à développer, nul doute que
les développeurs ont mis toute leur volonté pour donner au joueur le
maximum de possibilités mais il y a forcément des limites. Celles-ci ont été beaucoup plus larges pour le développement de Shenmue par
exemple et ceux qui ont pu comparer les deux titres peuvent faire la
différence. Plus de temps, de personnel, augmentent d'autant plus ces
possibilités pas forcément indispensables au scénario mais participant
au charme se dégageant du jeu. L'exemple de la variété des habitants
peuplant les lieux en est la parfaite illustration, d'une bonne centaine de modèles (au minimum) dans Shenmue, seule une douzaine tout au plus se côtoient dans les rues d'Omikron. On peut attribuer cela à un
manque de temps vis-à-vis d'impératifs de développement mais cela reste
anecdotique par rapport à l'ensemble. Le principal défaut reste ces
quelques phases d'action en vue subjective, peu précises et à la
jouabilité crispante ; elles sont un plus pour répondre à une certaine
mode et augmentent de manière inutile la durée de vie. Il paraît qu'elles auraient été intégrées à la demande de l'éditeur.

Âme nomade

Une des idées les plus intéressantes est la possibilité de changer de
corps, il est quasi-impossible d'arriver à un game over puisque le corps que vous manipulez n'est qu'une enveloppe pour votre âme qui à la
possibilité d'en changer à l'aide d'un sort ou du contact avec un autre
si vous venez à mourir. Le joueur est un marionnettiste manipulant ses pantins qui ne sont que les pions de l'aventure. Une variante des golems. On peut choisir ceux-ci en fonction de leurs
caractéristiques et des circonstances. Cependant cet élément n'a pas été incorporé de manière à ne servir que le côté progression. Il y a ce
lien entre l'âme du joueur et son intervention dans ce monde à travers
ces corps qui peut être déroutant, seuls les personnages avertis auront
la possibilité de nous percer à jour, les autres ne percevront que le
côté apparent des choses. Votre âme est piégée dans ce monde jusqu'à ce
qu'elle accomplisse sa tâche, on peut y percevoir une métaphore sur le
désir intrinsèque du joueur à se laisser plonger dans un univers virtuel au risque d'y laisser sa personne et son propre monde de côté, au-delà
d'Omikron qu'il contribue à changer. Va-t-il en ramener quelque chose ?

1999 - Quantic Dreams / Eidos

Article original publié sur Planet Jeux en août 2004